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Épisode 18 : Un avenir libre ?


Églantine rencontre son alter ego du futur.
L'occasion pour elle de confronter son époque... et son avenir.



   Églantine se retrouve dans une pièce étrange. Les contours des murs lui semblent flou. Elle regarde autour d'elle et ne reconnaît rien. Elle se souvient juste qu'elle vient de rencontrer un vieil informaticien qui lui a parlé de son passé.
   Une jeune femme s'approche d'elle. Églantine lui demande :
- Mais où sommes nous ?
   Le jeune femme semble surprise. Elle répond :
- Nous sommes au siège de la société Logiciels Ouverts & Co, la société des mégas winners de l'informatique.
- Qui êtes-vous ?
- Je suis Mika, une jeune informaticienne. Tu devrais me tutoyer. Le vouvoiement est interdit depuis des années maintenant.
- Ah... moi aussi, je suis une jeune informaticienne.
   Mika la regarde, surprise. Elle dit :
- Jeune, vraiment ?
   Églantine regarde ses mains ridées. Elle répond :
- Enfin, j'étais une jeune informaticienne.
- Ah, je comprends mieux. J'ai lu quelques histoires sur ces temps lointains. Tu pourrais peut-être m'en parler.
- Tu as lu ? Cela veut dire que les personnes lisent encore aujourd'hui ?
- Heureusement que certaines personnes lisent encore.
- Comment ça ?
- Chaque personne qui naît aujourd'hui doit suivre un cursus d'éducation. Le jour de sa majorité, chacun doit choisir s'il veut continuer sa vie réelle ou s'il veut entreprendre une vie virtuelle.
   Églantine est surprise. Elle demande :
- Vie virtuelle ?
- Au fur et à mesure des avancées technologiques, les machines ont pris de plus en plus d'importance dans la vie des hommes. À tel point que certaines personnes restaient connectées en permanence aux machines.
- Ah...
- Et puis ce qui devait arriver arriva. Une entreprise sans scrupule a proposé à ces personnes une connexion à vie en échange de l'utilisation de leur corps.
- Quoi ?
- Ces personnes sont placées dans des caissons, connectées à un système. Ce système leur permet de vivre et ressentir une vie virtuelle tout en utilisant les fonctions physiques de leur corps pour produire.
   Églantine est choquée. Elle demande :
- Produire quoi ?
- Des enfants pour les femmes, de l'électricité (!!!), des cultures de virus, des organes pour transplantation, et j'en passe.




- C'est un drôle de monde dans lequel tu vis.
- Ça, c'est le monde de la vie virtuelle, ce n'est pas le monde que je préfère. Mais revenons-en à ton époque. Raconte-moi comment c'était quand tu étais jeune. Tellement de personnes me disent que c'était mieux avant.
- De mon temps, il n'y avait pas encore de vie virtuelle..., en tout cas, pas à ce point-là.
- Ah bon ?
   Églantine réfléchit deux secondes puis répond :
- En fait, si, il y avait déjà des personnes connectées en permanence. Sauf qu'elles étaient non productives. On les appelait les no-life.
- J'ai l'impression que les industriels qui ont mis en place ce système de vie virtuelle n'ont fait que répondre à un besoin existant.
   Églantine fait la moue et dit :
- C'est triste.
- Ouais, enfin, heureusement il y a les bons vivants, comme nous. Raconte-moi comment c'était l'informatique, au début.
- Je n'étais pas née... au début de l'informatique.
- Ah... Alors, c'était comment l'informatique à ton époque ? J'ai entendu tellement d'histoires incroyables.
- Des histoires, comme quoi ?
- Par exemple, certains prétendent que vous acceptiez d'utiliser des programmes informatiques sans pouvoir en vérifier le fonctionnement.
- C'est juste. C'était même la norme pour l'immense majorité.
- Waouh. C'est dingue. En même temps, j'admire la confiance qu'il faut avoir.
- Ce n'était pas une question de confiance, mais une question d'ignorance.
- Ah...
   Églantine marque une pause et poursuit :
- C'était l'époque où les ordinateurs sont passés du gadget à l'assistant personnel. Seulement le savoir n'était pas à la hauteur.
- Et ?
- Quand on est ignorant, on est obligé de faire confiance à quelqu'un qui sait. Et la personne qui remporte la mise n'est pas forcément la personne la plus digne de confiance, c'est juste la personne la plus crédible.
- Je te rassure, c'est encore le cas aujourd'hui. L'ignorance des uns fait toujours la richesse des autres. L'ignorance est moins visible, parce qu'elle finit souvent dans un caisson.
- Dommage qu'on n'ait pas pu mettre les utilisateurs de ces programmes dans des caissons...
   Mika sourit puis répond :
- Heureusement que Stevy Jobs est arrivé pour changer tout ça...
- Quoi ? ? ?
- Stevy Jobs, l'homme qui a fait comprendre au monde que l'accès au code d'un programme est un droit universel.


NdA : L'Histoire n'est jamais très rationnelle ou même objective lorsqu'il s'agit de mettre en avant des noms.
Le ou les noms qui vont rester seront plus proches des Mark ou même des Steve que des Linus.
La bataille technique est gagnée. La bataille politique, pas encore.
Les noms qui vont rester seront ceux des généraux de la bataille politique, pas de la bataille technique ou idéologique.
Pourquoi ce nom ?
Parce que je pense qu'il n'y a pas de nom moins à propos sur ce sujet aujourd'hui.
Et en même temps, je trouve ça tellement crédible... tristement crédible.



   Églantine ne sait pas quoi répondre. Elle est tellement choquée qu'elle reste muette. Aucun son n'arrive à sortir de sa bouche. Mika lui demande :
- Ça ne va pas ?
- Non, ça ne va pas. J'ai comme un arrière-goût très désagréable dans la bouche.
- Je ne sais pas quoi dire...
- Il n'y a rien à dire. En même temps, c'est une bonne leçon.
- Comment ça ?
- De mon temps, la majorité des projets libres étaient faits par et pour des techniciens.
- Quoi, les responsables de projets étaient les développeurs ?
- Oui...
   Mika semble surprise. Elle dit :
- Rassure toi, il y a du changement sur ce point. Une des règles de base d'un projet est de ne pas avoir son centre de commandement dans la salle des machines. C'est très mauvais pour la visibilité.
- Je m'en rends compte maintenant. Mais que faire ?
- Aujourd'hui, la plupart des projets informatiques sont gérés par des comités d'utilisateurs. Les développeurs n'assurent que la transformation des demandes fonctionnelles des responsables du projet en réalité technique.
- Il y a assez d'utilisateurs pour tous les projets ?
- En fait, aujourd'hui, tous les utilisateurs sont aussi des informaticiens.
- Tous les utilisateurs sont aussi informaticiens ?
   Mika semble amusée. Elle dit :
- Bien sûr. Dans notre cursus d'éducation, chaque personne doit apprendre au moins deux méthodes de développement, deux langages de programmation, entre autres.
- Si tout le monde est informaticien, il doit bien y avoir des personnes qui s'occupent de l'ensemble d'un projet.
- Comme il a été démontré que ce n'est pas optimal, leurs projets sont ignorés. Si je fais un programme pour moi, je vais le faire seule. Si je fais un programme pour d'autres personnes, j'aime autant leur demander ce qu'elles veulent.
- J'ai hâte d'être à une époque où les utilisateurs s'investiront dans le développement de leurs outils informatiques et où les développeurs se soumettront à leurs demandes fonctionnelles.




   Mika lui répond :
- Sois patiente, cela arrivera un jour. Qu'est-ce que tu peux me dire d'autre ?
- À mon époque, il y a eu la création d'internet, avec toutes ses implications.
- Implications ?
- Par exemple, il y a eu de grands débats sur la diffusion des œuvres culturelles.
- J'ai entendu parler d'une limitation de la diffusion des œuvres culturelles. Mais j'ai toujours eu du mal à y croire.
- Du jour au lendemain, on est passé d'une culture de la rareté et du contrôle de la diffusion à une culture libérée.
- Et ?
- Et les intérêts économiques prévalent sur les intérêts culturels.
- Je ne comprends pas.
   Églantine marque une pause. Puis elle dit :
- Avant l'internet, des industriels contrôlaient les quelques artistes qu'ils avaient sous contrat.
- Les artistes se laissaient contrôler ?
- Dans la culture de la rareté, on est prêt à faire n'importe quoi pour faire partie de la rareté. Ils ont même défendu le maître qui les tenait en laisse. Ils étaient trop contents d'avoir un contrat.
- Des contrats ?
- C'est ce qui se passe quand les revenus de la culture passent avant la diffusion de la culture. La culture est un produit financier comme les autres. Sauf quand il s'agit de protectionnisme, là, il y a exception culturelle.
- Incroyable.
- C'est pourtant ce qui s'est passé. La rémunération d'une œuvre était plus importante que sa diffusion.
   Mika est choquée. Elle demande :
- L'accès à la culture était conditionné aux moyens financiers ?
- Exactement.
- Je ne comprends pas comment vous pouviez accepter cette situation.
- En fait, on ne nous demandait pas vraiment notre avis. Il y a eu des débats, mais pas vraiment des débats publics.
- Comment ça ?
- Dans une démocratie, le peuple s'exprime de temps en temps. Entre ces moments, ce sont surtout les arrangements entre amis qui s'expriment.
- Dommage.
   Églantine marque une pause. Elle répond :
- Eh oui, dommage. En plus beaucoup de personnes considéraient que leurs intérêts étaient moins importants que ceux de célébrités.
- Comment ça ?
- On les appelait les fans. Leur bonheur ne pouvait venir que du bonheur de la célébrité à laquelle ils vouaient un culte. Quoi qu'il leur en coûtât.
- On en a de moins en moins aujourd'hui.
- Ah bon ?
- Les caissons...
- Finalement, je crois que je vais commencer à changer d'avis... sur ces caissons.




   Mika sourit, et demande :
- Qu'est-ce que tu peux me dire d'autre ?
   Églantine marque une pause puis répond :
- La multiplication de projets identiques était un gros problème.
- Comment ça ?
- De nombreux projets avec les mêmes objectifs ont vu le jour et se faisaient concurrence. À la place d'une saine émulation, on assistait à une guerre des mots plus que stérile.
- Ah...
- C'était surtout un problème d'orgueil.
   Mika est surprise. Elle répond :
- C'était peut-être aussi un problème de communication.
- Comment ça ?
- Tu as l'air de dire qu'à ton époque, internet était un outil jeune. Il a fallu beaucoup de temps pour que l'humanité se rende compte à quel point cet outil pouvait rapprocher les personnes et les idées.
- Je ne comprends pas.
- Comme aujourd'hui, il n'y a plus de pays...
- Plus de pays ?
- Oui, après que les peuples se sont rapprochés au niveau des populations, il a été beaucoup plus difficile aux dirigeants politiques d'expliquer la notion de frontière entre les états et donc entre les peuples.
   Églantine est surprise. Elle demande :
- Aujourd'hui, il n'y a vraiment plus qu'un pays ?
- Non. Il y a une fédération de différentes zones géographiques. Un pouvoir mondial qui ne s'occupe que de la liberté de circulation et de la monnaie unique. Ensuite, il y a des autorités continentales, et des autorités locales.
- Et c'est arrivé comment ?
- En discutant. C'est dingue ce qu'on arrive à trouver comme points communs quand on discute de façon constructive.
- Ah...
- Et ce qui s'est passé avec les gouvernements s'est aussi passé avec les grands projets.
- Quels grands projets ?
- La recherche médicale, la recherche spatiale, les projets informatiques de base et tant d'autres.




   Églantine est étonnée. Mais elle voit une faille. Elle suggère :
- Wahou... Mais s'il y a des projets globaux, il doit y avoir des conglomérats industriels très puissants derrière. Ne sont-ils pas devenus trop puissants ?
- Non, car la recherche et la production sont complètement séparées. Il y a une recherche globale dont le résultat est mis à la disposition de tous, et il y a la production issue de ces recherches.
- Il n'y a pas de conglomérats gigantesques ?
- Oh que si, mais ils se font concurrence entre eux. On a toujours le choix de choisir l'un d'entre-eux.
- Il n'y en a jamais un qui prend le dessus sur les autres ?
- Ce n'est plus possible. Après une série de procès longs et improductifs pour abus de position dominante, la fédération a décidé de limiter les parts de marché d'une entreprise sur chacun de ses secteurs d'activité.
- C'est à dire ?
- Si une entreprise voit son chiffre d'affaire dépasser les 40 % de part de marché sur un secteur d'activité, elle est automatiquement démantelée.
- Oh...
- Il y a eu un cas. Depuis, tous les conglomérats font très attention à ne pas dépasser la limite.




   Églantine décide de tester quelques cas particuliers. Elle demande :
- Mais alors, qu'est devenu la société Microsoft ?
- Micro quoi ? Je n'ai jamais entendu parler de cette entreprise...
- Quoi ?
- Je plaisante. Tout le monde en a entendu parler. Même si elle n'existe plus depuis bien longtemps.
- Elle n'existe plus ?
- Il n'y a rien de pire qu'une foule qui se rend compte à quel point on a profité d'elle.
- Ah...
- La chute a été brutale et on le paye encore aujourd'hui.
- Comment ça ?
- Il existe encore de nombreux résidus de programmes créés par cette société. Et de très nombreux documents pas encore normalisés.
- Je croyais que vous n'utilisiez plus de programmes sans avoir accès au code source.
   Mika soupire puis répond :
- Nous essayons par tous les moyens de ne plus en utiliser. Mais nous devons aussi assumer l'existant, pour les programmes et les données.
- Notre paresse et notre ignorance ont eu raison de nos intérêts.
- Ouais. Et maintenant, c'est à nous d'assumer.
- En parlant d'assumer, est-ce que tu sais comment a fini la société Apple ?
- Rien n'est fini avec eux.
- Comment ça ?
- Ils sont moins puissants qu'ils ont été, mais ils sont toujours là.
- J'aurais pensé que tous leurs utilisateurs auraient fini dans des caissons.
- C'est pour ça qu'ils sont entrés dans le business des caissons dès le début.
- Ah...
- Comme un fabricant de cigarettes qui dirigerait un centre de désintoxication.
- C'est autorisé ?
- C'est immoral... mais pas illégal. Et, comme ils disent, ils sont les mieux placés pour soigner la dépendance qu'ils créent.
   Églantine demande :
- Tu n'as pas dit que Stevy Jobs avait milité pour le logiciel libre.
- Ce fut toute une histoire quand il a retourné sa veste. Pire que le jour où il a demandé de l'aide à Billy Gates.
- Que s'est-il passé ?
- Comme Billy avant lui, il a dû faire face à un procès peu valorisant et très humiliant. Et comme Billy, il s'est senti obligé de privilégier son image personnelle plutôt que celle de l'entreprise qu'il dirigeait. Il a donc pris du recul et commencé à défendre une cause plus noble que le gain d'argent.
- Ils étaient finalement très semblables.
   Mika sourit et elle ajoute :
- Ils étaient tellement semblables que Stevy Jobs a demandé à Stevy Ballmer de le remplacer quand il a quitté la société Apple.
- Ballmer a accepté ?
- Bien sûr. Il faisait des bonds moins spectaculaires lors de ses conférences Apple à cause de l'âge, mais il était toujours aussi drôle.
   Églantine marque une pause puis elle demande :
- Et Google, qu'est-ce qu'ils sont devenus ?
- C'est le conglomérat qui a été démantelé.
- Ah...
- Ils ont joué trop personnel et ont cru que leurs clients pourraient les protéger de tout.
- Comment ça ?
- Celui qui fait la loi est plus puissant que n'importe quelle part de marché.
- Oh...
- Il en est resté beaucoup de bonnes choses pour l'informatique libre, mais pas pour eux.
- Qu'est devenu le combat pour préserver la vie privée ?
- C'est quoi la vie privée ?
   Églantine se réveille en sursaut, assoupie sur son bureau. Elle regarde autour d'elle et voit Adil qui lui sourit. Il lui demande :
- Tu t'étais endormie ?
- Pas du tout, je me reposais les yeux... une méthode de yoga que j'ai apprise sur internet.




NdA :
Pour rester dans le domaine de la science-fiction et de la liberté d'expression, je joins à ce chapitre trois "textes", sur trois entreprises "importantes" du monde informatique :
Apple
Google
Microsoft
(Rien à voir avec l'article de framablog...)




Ce qu'il faut retenir :
- Qu'il est doux d'imaginer le futur.
Certains appellent cela de la science-fiction, d'autres... des prévisions.

- Un projet, c'est mieux avec une maîtrise d'ouvrage et une maîtrise d'œuvre indépendantes.

- Les dirigeants de Google ont bien compris l'importance du lobbyisme. Pas de démantèlement à l'horizon...



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