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Épisode 9 : Leçon de choses


Églantine rencontre Caroline.
Elle va recevoir une bonne leçon de choses...




   Une femme d'une quarantaine d'années entre dans le bureau du support informatique. Toutes les discussions cessent. Le silence surprend Églantine qui lève la tête de son ordinateur. Elle voit la femme s'asseoir devant un ordinateur, faire quelques manipulations, se lever et sortir de la pièce.
   Églantine regarde Manu d'un air interrogatif. Il lui répond.
- C'est Caroline, elle fait partie de l'équipe.
   En entendant cela, Églantine termine rapidement ses opérations puis sort du bureau. Elle aperçoit Caroline au bout du couloir et se dirige dans sa direction d'un pas rapide.
   Après quelques secondes d'une marche poursuite des plus banales, Églantine arrive à sa hauteur.
- Bonjour, je suis Églantine, je suis contente de te rencontrer.
- Bonjour, qui es-tu ?
- Je remplace Maxime, pour deux semaines.
- Maxime ?
- C'est un technicien ... du support informatique.
- Tu sais, j'ai vu passer tellement de techniciens ici que je ne me formalise même plus d'en voir de nouveaux ... Que me vaut l'honneur ?
- Rien de spécial, j'essaye de rencontrer toutes les personnes de l'équipe.
   Caroline est surprise. Elle demande.
- Ah ... et qu'est ce que tu fais une fois que tu les as rencontrées ?
- Pour le moment, pas grand chose. Je n'ai pas encore trouvé de points d'accroche qui méritent une discussion.
- Tu penses qu'avec moi, ce sera différent ?
- Qui ne tente rien n'a rien...
- OK .... c'est quoi ton nom déjà ?
- Églantine.
- OK, Églantine, qu'est ce que je peux faire pour toi ?
- J'ai entendu parler de toi par Ben.
- Tiens donc ...
- J'essayais de rendre service à un utilisateur en dehors du ticket d'incident ouvert et il m'a fait remarquer qu'on devrait bien s'entendre.
   Cette remarque amuse Caroline qui fait remarquer.
- Ah ... tu es là pour rendre service aux utilisateurs.
- Oui ...
- Faut que tu fasses attention. Ce n'est pas forcément bien vu.
- Comment ça ?
- Ici, il faut faire du chiffre. Peu importe le résultat. C'est pour ça que je reste le moins longtemps possible dans la salle support car c'est une grosse source d'énervement.




- Et toi, tu n'as pas de soucis ?
   Caroline regarde autour d'elle. Elle demande à Églantine.
- Ça te pose un problème de discuter en marchant. Faut que j'aille rendre une visite à un utilisateur.
- Je ne sais pas si je peux m'absenter trop longtemps.
- Tu diras à Manu que tu as fait une tournée avec moi. Il ne te dira rien.
- Si tu le dis ...
   Caroline commence à marcher et Églantine lui emboite le pas.
- Personne ne m'emmerde car je suis la plus ancienne de la DSI et que je connais tous les rouages de l'entreprise. Je sais à qui parler pour avoir ce que je veux. Ça fait peur à mes chefs. Donc ils me foutent la paix.
- Tu connais tout le monde ici ?
- Non.
- Comment ça ?
- Je ne connais que les personnes intéressantes.
- Mais encore ?
- Tu es vraiment jeune...
- C'est ma première expérience en entreprise.
   Caroline sourit à Églantine. Elle lui répond.
- Une newbie. J'adore. Disons que dans une entreprise, il y a ceux qui bossent et qui font tourner la boutique. Et il y a ceux qui brassent de l'air en essayant de se faire le moins remarquer possible.
- Ah ?
- Le plus important si tu veux quelque chose, c'est de demander à la bonne personne.
- OK.
- Mais avant de demander quoi que ce soit, il faut souvent rendre de petits services ... entre amis.




- Quel genre de services, entre amis, on peut rendre quand on est technicien support ?
- La liste est très très longue. C'est un vrai privilège de bien connaître un technicien du support informatique.
- Ah bon ?
- L'ordinateur est un élément essentiel pour le travail. Plus il est efficace, mieux c'est pour l'utilisateur.
   Églantine est surprise, elle demande.
- Tous les utilisateurs n'ont pas les mêmes ordinateurs ?
- Bien sûr que non. Au lieu d'avoir une souris recyclée, un utilisateur peut en avoir une neuve, il peut avoir un meilleur écran, un ordinateur plus puissant.
- Effectivement, ça permet de rendre de bons petits services...
- Comme les utilisateurs et les responsables de service n'y connaissent rien, c'est souvent un technicien qui prend la décision de donner tel ou tel matériel à telle ou telle personne.
- Sans maîtrise, le pouvoir n'est rien ...
- Quoi ?
- Juste une citation à la noix, digne d'une publicité...
   Caroline poursuit son explication.
- Ok. Et je ne t'ai pas encore parlé des différents petits outils qui améliorent le quotidien et qui ne sont pas du tout standards.
- Comme un bouton qui fait les additions pour des comptables...
- Exactement. Mais il faut quand même faire très attention.
- Comment ?
- Si je fais un cadeau matériel, souris, clavier ou autre, cela a toujours un coût pour l'utilisateur. Il hésite donc à me solliciter. Mais dans le cadre des outils logiciels, cela n'a aucun coût.
   Églantine commence à comprendre. Elle suggère.
- Et ils n'hésitent jamais à demander...
- Précisément. Pour l'exemple des comptables, j'ai rendu un service à un ami. Il s'en est vanté auprès de ses collègues qui demandent à avoir la même chose.
- Ils ne peuvent pas l'avoir ?
- Techniquement, ça prend 30 secondes. Mais...
- Mais ?
- Je ne peux pas leur donner aussi facilement. Si je le fais, je n'aurai rien en retour. Si je les fais poireauter des semaines, je pourrais leur demander ce que je veux...
- Ah oui, quand même.
- Ici, c'est la jungle. Tu n'as pas d'amis, juste des collaborateurs et des chéfaillons.




   Églantine est surprise, elle demande.
- Ce n'est pas toi qui viens de parler de cadeaux entre amis ?
- On n'est jamais vraiment amis. Ici, personne n'est prêt à risquer son boulot pour un autre.
- Ah...
- De temps en temps, il y a affinités et c'est déjà beaucoup.
- Et quand il y a affinités, il y a services réciproques.
- Exactement, tu apprends vite.
- En parlant de services réciproques, tu arrives à répondre à toutes les demandes de tes utilisateurs.
- Bien sûr.
   Églantine est déçue de la réponse. Elle insiste.
- Tu ne trouves jamais de limitations dans les outils que tu utilises ?
- Si j'ai des limites, ce n'est vraiment pas à cause des outils.
- Comment ça ?
- Une intervention, c'est un peu comme une consultation chez le médecin. L'utilisateur te donne les symptômes et tu essayes de trouver le remède adéquat.
- Bien vu.
- Les utilisateurs ne sont même pas capables d'identifier leurs symptômes de façon claire, ils ne comprennent rien à l'informatique.
- ...
- Aujourd'hui, peu importent les outils ...
- Pas tant que ça...
   Caroline coupe la parole à Églantine avant d'annoncer.
- Oh que si. Des outils vieux de 10 ou 15 ans conviendraient très bien. Si on ne montre pas aux utilisateurs ce qu'ils peuvent faire avec un ordinateur, il ne vont pas l'inventer.
- Il n'y a personne pour faire ça ?
- Non. En même temps, cette situation est confortable pour moi. Je suis tranquille, je ne suis pas prête d'avoir des demandes que je ne puisse satisfaire.
- Mais ça permet à certaines personnes d'être des professionnels de l'informatique. Alors que ce ne sont que des charlatans. Et j'ai entendu dire que c'est une grosse source d'énervement ... pour certains de leurs collègues.




   Caroline est amusée de la dernière remarque d'Églantine. Elle demande.
- Tu as une solution ?
- Les logiciels libres ?
- Ah...
- Quoi ?
- Les logiciels libres, ce ne sont que des outils.
- Et ?
- Remplacer des outils par d'autres outils n'améliorent pas le niveau de connaissance ou le niveau de compréhension.
- C'est un début...
- C'est un mauvais début.
   Églantine est surprise. Elle demande.
- Comment ça ?
- Si tu veux vraiment rendre un utilisateur libre, ça passe avant tout par le savoir. Et ensuite les outils vont suivre.
- ...
   Caroline se rend compte qu'Églantine ne sait pas quoi répondre. Elle lui demande.
- Quoi, tu n'y crois pas ?
- Au contraire, c'est exactement ce que je crois.
- Mais tu veux fourguer du logiciel libre avant d'éduquer l'utilisateur moyen.
- C'est simple ... et plus rapide.
- Rome ne s'est pas faite en 2 jours.
   Églantine se rend compte qu'elle essaye souvent de mettre la charrue avant les boeufs. Mais c'est quand même mieux que de ne rien faire. Elle se décide de poser LA question à Caroline.
- Et toi, tu utilises des logiciels libres ?
- Non, aucun intérêt pour moi.
- Quoi ?
- Cela ne me sert à rien de savoir utiliser deux systèmes. 98% de mon utilisation informatique se passe sur mon lieu de travail. Je ne vais pas me coltiner l'apprentissage de nouveaux outils que je n'utiliserais jamais. Si je dois changer un jour, ce ne seront plus ces outils au moment de mon changement.
- Plus les mêmes outils ?
- Ce ne seront plus les mêmes outils à cause des montées de version ou parce qu'un autre outil aura pris la place.
- Ah. Et tu n'as pas peur du moment où ça va basculer.
- Les principes de l'informatique sont les mêmes, quels que soient les outils.
- Y a quand même 2 ou 3 choses à apprendre.
- Je n'ai pas l'intention de perdre ma capacité d'apprentissage. Avec la formation continue, je serais prête bien avant que l'entreprise ne le soit. J'ai les notions de base. Les détails s'apprennent en quelques jours et sur le terrain par la suite.
- ...
- C'est l'avantage de connaître les bases. Après si je dois utiliser une clé de 15 au lieu d'une clé de 13 pour bricoler, cela ne me posera pas beaucoup de problèmes de passer de l'une à l'autre.




   Églantine insiste, elle demande.
- Et, tu n'as pas envie de participer au changement ?
- Pas vraiment.
- Tu te rends compte qu'il va y avoir du changement ?
- Bien sûr. Les éditeurs de logiciels se foutent de plus en plus de la gueule de leurs clients. En face, tu as des solutions ouvertes qui sont vendues, ou même données par des boites de plus en plus crédibles.
- Raison de plus ...
- L'informatique, ce n'est pas ma vie. C'est un outil que j'utilise sur mon lieu de travail. J'ai passé l'âge de m'extasier devant une nouvelle version d'un nouveau programme révolutionnaire.
- ...
- Je n'ai aucun intérêt particulier au changement. Alors, je vais laisser travailler ceux qui y ont un intérêt commercial.
- Comment ça ?
- Le changement de masse viendra de grandes entreprises qui seront trop contentes de pouvoir offrir à leurs clients ces outils.
   Églantine ne comprend pas. Elle demande.
- Et les associations ?
- Elles pourront regarder le changement et aider à la marge. Mais le gros du changement se fera par le monde économique.
- Ah...
- Ce sera comme ça si l'objectif est juste de changer les outils. Après, si l'objectif est de transmettre un savoir et de faire progresser le niveau de connaissance global, cela devient un problème politique.
- Tu as compris tout ça, et tu vas attendre le changement, sans rien anticiper ?
- Oui. Comme je t'ai dit, j'aurais beaucoup plus de facilité à changer que l'entreprise.
- Tu pourrais aider l'entreprise à anticiper ?
- Oh, ça, ce n'est pas mon problème.
- Comment ça ?
- Ce n'est pas à moi de provoquer le changement. Ça se décide en haut lieu. Moi, je ne fais qu'obéir aux ordres.
   Églantine est déçue. Elle demande.
- Tu n'as jamais essayé ?
- Ça se voit que tu es jeune. Il y a une hiérarchie à respecter. Les personnes qui prennent ces décisions n'écoutent jamais les gens comme nous. On ne peut rien leur apprendre.
- Je ne suis pas sûre...
- Un jour, tu rencontreras peut être un des directeurs et tu comprendras ce qu'ils pensent de nous.




   Églantine a une idée. Elle fait remarquer.
- Pour qu'ils t'écoutent un peu plus, il faudrait juste que tu montes un peu les étages de la hiérarchie...
- Ça, jamais.
- Tu n'as pas envie de faire autre chose que du support.
- Non, je suis très bien comme ça. Quand je vois le boulot des autres informaticiens, je ne les envie pas du tout.
- Comment ça ?
- Entre ceux qui passent leurs journées collés à leur chaise et à regarder leur écran. Et ceux qui doivent bosser en équipe, avec des crétins qui ne comprennent rien à rien.
- Tu ne bosses pas en équipe ?
- Non, je suis dans une équipe, ce n'est pas la même chose. Le jour où on m'obligera à bosser avec les autres membres de l'équipe, on en reparlera.
- Et tu n'aurais pas envie de prendre en main l'équipe...
- Je ne veux pas être responsable de l'équipe support, surtout pas. Je n'ai pas envie d'aller en prison pour homicide.
   Cette remarque fait sourire Églantine qui enchaine.
- Si tu étais responsable de l'équipe, et que tu pouvais choisir ton équipe, tu aurais moins de chance de commettre un homicide, ou juste d'être énervée. Imagine un jour où il sera impossible de toucher un salaire d'informaticien, juste en cliquant sur des boutons.
- Cela ne se passe jamais comme ça. Tu as toujours un chef eu dessus de toi qui veut t'expliquer les choses et qui va t'imposer sa vision, et ses prestataires.
- Ah...
- Ce n'est pas la vraie vie ici, c'est une entreprise. Bon, faut que je te laisse, j'ai une consultation à faire.
- Je peux voir une intervention avec un utilisateur ?
- Non. Je t'ai dit que tu pouvais utiliser ça comme excuse, pas que tu pouvais y assister. La relation que j'ai avec mes utilisateurs est protégée par le secret du support-informatique.




Ce qu'il faut retenir :
- Il faut savoir choisir ses amis, surtout dans une grande entreprise.

- La compétence se trouve à tous les niveaux hiérarchiques le pragmatisme aussi.

- Le changement de masse des outils se fera par le monde économique. La hausse du niveau de connaissance global se fera par des décisions politiques. On est bien parti pour un changement d'outils sans hausse du niveau de connaissance global.

- Il existe des personnes lucides, pragmatiques et intelligentes qui ne foncent pas tête baissée vers la liberté informatique.



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