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Épisode 6 : Un débriefing de consolation


Églantine a passé son premier examen pratique.
Un petit remontant ne lui fera pas de mal.



   Églantine reste seule avec Monsieur Lessig dans la salle de réunion. Il s'approche d'elle et lui demande.
- Alors ?
- Je pense qu'il va me falloir encore quelques minutes pour me remettre de tous les coups que je viens de prendre.
- Ce n'est rien. Ils ont été très gentils avec vous.
- Comment ?
- Ils ne seraient pas là où ils sont s'ils prenaient des leçons de choses de jeunes filles de 24 ans. Même dans des domaines qu'ils ne connaissent pas du tout.
- Je ne comprends pas.
- Vous n'avez toujours pas compris le principe de hiérarchie dans une entreprise.
- ...
- C'est moi qui vous ait présenté. Cela veut dire que s'ils vous attaquent, ils m'attaquent aussi.
- Mais, à la fin ...
- À la fin, ils vous ont un peu taquiné. Et ils ne l'ont même pas fait sur votre sujet de présentation.
- Qu'est ce que cela veut dire ?
- Qu'ils vous ont juste taquiné. S'ils avaient vraiment voulu vous attaquer, on n'aurait parlé que de votre anecdote du début de réunion.
- Elle n'était pas parfaite mais...
- Mais ... vous parlez des problèmes d'une sécrétaire à une direction générale ... vous utilisez des termes incompréhensibles pour les utilisateurs informatiques que nous sommes ...
- Et ?
- Et ... il faut vous adapter à vos interlocuteurs. Ils ne feront pas toujours l'effort d'essayer de vous comprendre.
- Donc, tout ceci n'était qu'une mise en scène ?
- Pas uniquement. Vous avez transmis des idées nouvelles ... et je voulais aussi tester mes directeurs.
- C'est à dire ?
- Il faut une certaine ouverture d'esprit pour vous écouter.
- Merci bien...
- Il faut que vous soyez lucide. Vous annoncez un changement profond de la connaissance humaine.
   Églantine fait une moue. Monsieur Lessig poursuit.
- Même si notre fonction nous met un voile devant les yeux...
   Monsieur Lessig fait un sourire ironique à Églantine en disant cela.
- ...nous devons être attentifs aux changements dans la société. Et ce dont vous nous avez parlé ne fait pas partie des discussions du moment.
- J'espère que cela sera une évidence pour les personnes de votre génération avant qu'il ne soit trop tard.




- Je ne sais pas combien de temps il vous a fallu pour accepter cette ... réalité ... mais sûrement plus de quelques heures. Je ne peux pas vous garantir que nous arriverons aux mêmes conclusions que vous sur les changements à venir. Mais ce que je peux vous garantir, c'est qu'il nous faudra plus d'une réunion pour tirer des conclusions.
- ...
- Il faut laisser le temps au temps. Si vous essayez de forcer les choses, vous ferez fuir vos interlocuteurs. Surtout ceux de ma génération.
- J'ai tellement envie...
- Ça ne suffit pas pour convaincre. Surtout que vous êtes encore très confuse dans votre discours.
- Confuse ?
- N'annoncez jamais que vous maîtrisez ce que vous ne pouvez pas expliquer clairement, même à des novices. Là encore, j'ai vu des réunions finir très mal parce qu'un expert s'est juste embrouillé sur une définition. Vos concepts de mots et d'alphabet, je vous conseille de les garder pour vous jusqu'au jour où vous serez au point.
- Je ne savais pas qu'il y aurait une réunion...
- C'est vous qui avez parlé de maîtrise, pas nous. Si vous me demandez de vous expliquer ce qu'est l'alphabet, ou les mots pour le français, je peux. Même à un analphabète et sans préparation.
- Mais ça n'a rien à voir.
   En disant cela Églantine fait un grand sourire à Monsieur Lessig. Elle continue.
- OK, je me suis bien plantée.
- J'ai plus de 10 ans d'expérience dans de nombreux domaines. Je ne garantis jamais que je les maîtrise. Une action vaudra toujours plus qu'un long discours.




- Oui, mais là, c'était une réunion, je ne peux rien faire...
- Mais qui vous a demandé de faire quoi que ce soit ?
- ...
- C'est vous qui avez pris les devants en racontant votre anecdote. Personne ne vous avait rien demandé.
- Ah...
- Si vous voulez tester une personne, laissez la parler. Il n'y a pas de meilleur moyen. On vous a juste testée.
- J'ai encore beaucoup de choses à apprendre...
- Quelques unes... peut être deux ou trois ... millions de choses ...
- Merci bien.
- Vous avez une maîtrise de l'outil informatique, j'en suis persuadé. Vous n'avez absolument pas la maîtrise du sujet, j'en ai la preuve. Basez-vous sur ce que vous savez et construisez petit à petit autour. Le reste viendra ... avec le temps.
- C'est gentil. Pourquoi faîtes vous ça ?
- Ça quoi ?
- Ma venue, cette réunion, ...
- Je sens qu'il se passe quelque chose. Je ne sais pas quoi, donc je suis attentif.
- Pourquoi moi ?
- On a un rapport privilégié du fait qu'on s'est rencontré chez moi.
- Comment ça ?
- Il n'y a pas la relation employeur, employé entre nous. Je peux vous demander des choses que je ne peux pas demander à d'autres.
- Ah...
- Et puis, c'est toujours bien d'avoir une personne avec des gros sabots pour prendre les coups à votre place...




- En avant, pour changer le monde...
- Désolé. Vous ne changerez pas la face du monde ... demain.
- Et la migration ?
- La quoi ?
- Le changement de système.
- C'est toujours en route. Pour 15 jours, sous la forme d'une étude et d'un rapport qui sera lu, au moins par moi.
- Vous ne savez pas aujourd'hui s'il y aura une migration.
- Ce n'est pas que de mon ressort. De plus, je commence à cerner un peu mieux la situation ... fonctionnelle. Je dois vous dire que je ne suis pas pressé. Je n'aime pas avoir trop d'avance sur les nouvelles technologies. Avoir quelques coups d'avance sur ses concurrents est une bonne chose. Avoir trop de coups d'avance et on se retrouve déconnecté de la réalité économique du moment.
- Je n'ai plus qu'à écrire le meilleur rapport possible.
- Exactement. D'ailleurs, à ce sujet, j'ai remarqué que vous êtes beaucoup plus performante pour répondre aux questions que pour exposer vos idées. Je vous conseille de travailler cela. On ne peut pas construire uniquement par la confrontation.
- Bien noté.
- Je vais vous donner deux autres conseils. Le premier, il faut toujours respecter l'intelligence de ses interlocuteurs. Si vous ne le faites pas, ils vous le feront payer très cher. Tôt ou tard.
- Merci du conseil.
- Le second. Pour vos prochaines présentations, il ne faut pas lancer tous vos arguments et toutes vos forces au début. Ce qui est important, c'est la conclusion. C'est la conclusion qui va décider des actions qui seront menées par la suite.
- Ça, j'ai bien compris. Quand je commence à prendre tous les coups, c'est que la réunion touche à sa fin.
- Tous les coups ... vous avez des rendez-vous avec les directions fonctionnelles. C'est une excellente conclusion.
   Églantine semble toujours un peu déçue, Monsieur Lessig ajoute.
- Quand vous êtes entrée dans la salle, vous ressembliez à Blandine que l'on amène aux lions. À un moment, vous vous êtes prise pour un génie face à des ignorants stupides. Finalement, vous avez remis les pieds sur terre. C'est une très bonne chose pour le travail que vous devez effectuer.
- ...
- Ah aussi, un dernier conseil, si vous voulez survivre à vos deux semaines chez nous, il faut que vous sachiez que les secrétaires n'existent plus. Nous avons des assistantes... qui sont nos relais de l'outil informatique. Si vous arrivez à convaincre l'assistante, ce ne sera même pas la peine de perdre votre temps avec le responsable. Et elles adorent les anecdotes ... qui parlent d'elles.




Ce qu'il faut retenir :
- Il faut laisser le temps au temps, sans rester immobile.

- C'est toujours bien d'avoir une personne avec des gros sabots pour prendre les coups à votre place...



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