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Épisode 7 : Interventions


Églantine rencontre ses premiers utilisateurs.
Elle est surveillée par un ouinedozien.
Cela n'aide pas à rendre service.



   Les émotions d'Églantine, à la suite de sa réunion, sont dissipées. Mais elle doit partir maintenant vers un nouveau challenge. Porter assistance à des utilisateurs d'entreprise. Elle a déjà porté assistance à des utilisateurs. Mais c'était dans leur environnement naturel, chez eux. Là, ils sont comme des fauves en cage, prêts à lui sauter dessus. C'est en tout cas ce qu'elle a compris des premiers conseils reçus.
   Elle marche dans les couloirs de l'entreprise, encore. Cette fois, elle est accompagnée d'un ouinedozien, Ben, qui prend la parole.
- Tu verras, c'est du gâteau. Tu arrives, tu résous le problème et tu repars.
- Y a jamais de problèmes complexes ?
- Y en a bien qui essayent des trucs bizarres mais c'est très rare.
- Comment ça ?
- C'est une question de formation. Ils savent à peine utiliser leur ordinateur. Ils ne risquent pas de faire des choses compliquées.
- Ça ne nuit pas à la productivité ?
- Productivité de qui ?
- De l'entreprise.
- Je ne sais pas, je ne m'occupe que de ma productivité. J'arrive, je résous ce que je peux et je repars le plus vite possible.




   Églantine ne sait pas quoi répondre. Ben reprend la parole.
- On va rendre visite à une utilisatrice qui ne fait pas d'histoire.
- Je ne comprends pas.
- Elle sait qu'on est tous là pour être efficace. Alors, elle ne pose pas de questions superflues.
- Quel genre de question ?
- Je n'ai pas d'exemple en tête mais tu sauras bien assez tôt.
   Ils arrivent devant la porte d'un bureau. Celle ci est entre-ouverte. Ben frappe à la porte. Ils entrent.
- Bonjour Madame Dupont, dit Ben, vous avez encore un bourrage papier ?
- Oui, comme d'habitude.
   Ben ne répond même pas. Il se dirige vers l'imprimante posée sur le bureau. Il l'ouvre, enlève la feuille de papier qui est bloquée à l'intérieur. Après avoir fait fonctionner le mécanisme de l'imprimante, il souffle un grand coup à l'intérieur. Puis il referme le couvercle et la replace sur le bureau.
   Madame Dupont vaque à ses occupations sans faire attention et Églantine observe en silence. Ben reprend la parole.
- Ça y est, c'est débloqué.
   En disant cela, il se dirige vers la porte du bureau en faisant signe à Églantine de le suivre. Pendant qu'ils sont en train de passer la porte, ils entendent Madame Dupont.
- Merci, à bientôt ...
   Ben ne tourne même pas la tête. Églantine le suit.




   Ils sont de nouveau dans les couloirs. Églantine s'étonne de toutes ces allées et venues. Elle demande.
- On passe beaucoup de temps à se promener dans les couloirs ?
- Pour chaque intervention, on se déplace.
- Ce n'est pas très efficace.
- Je sais. Mais un petit malin s'est amusé à faire peur aux utilisateurs avec la prise en main à distance. Certains se sont plaints que leur ordinateur était possédé par des fantômes. Du coup, on n'a plus le droit que de se balader à longueur de journée.
- Il y a encore des utilisateurs qui pensent que leur ordinateur peut être possédé ?
- Je dirais qu'il n'y a que ça...
   Ils arrivent devant un nouveau bureau, à la porte ouverte. Ben frappe à la porte et entre, suivi par Églantine.
- Bonjour, support informatique.
- Bonjour, mon ordinateur est bloqué et j'ai plein de travail à sauvegarder.
- Comment ça ?, demande Ben.
- J'étais en train de taper un document puis j'ai voulu faire autre chose. Tout d'un coup, l'ordinateur s'est bloqué.
- Et vous n'aviez pas sauvegardé vos documents ?
- Non.
- Je vais regarder ce que je peux faire mais ça ne sent pas bon du tout...
   Ben bouge la souris dans tous les sens, pas de réaction à l'écran. Il appuie sur quelques touches du clavier. Toujours aucune réponse. Après quelques secondes à scruter l'écran, il se retourne vers l'utilisatrice.
- Il est vraiment bloqué. Il va falloir le redémarrer.
- Et pour mon travail ?
- Tout ce que vous avez fait depuis la dernière sauvegarde sera perdu.
- Il n'y a rien à faire ?
- Quand c'est cassé, c'est cassé. C'est pour ça qu'il faut sauvegarder le plus souvent possible.
Après quelques secondes d'hésitation, l'utilisatrice répond.
- Bon, si on ne peut rien faire...
   Ben appuie sur le bouton pour redémarrer la machine, puis il annonce.
- Des fois, on peut réparer ce genre de problème. Mais là, il était vraiment bloqué. Pour éviter que ça se reproduise, il ne faut pas ouvrir trop d'applications en même temps. Et il faut toujours sauvegarder votre travail régulièrement.
   Ben se lève et se dirige vers la porte. L'utilisatrice a l'air désespérée, elle ne sait pas quoi dire. Elle arrive à articuler.
- Merci.
- Je vous en prie, répond Ben.




   Puis il sort du bureau, avec Églantine derrière lui. Une fois qu'ils sont dans le couloir, il se retourne vers elle et lui dit.
- Vite fait, bien fait.
- Bien fait ?
- L'ordinateur fonctionne. Elle peut travailler. Mission accomplie.
- Il n'y avait pas moyen d'essayer quelque chose d'autre. Comme de tuer le processus planté, comme de chercher les sauvegardes automatiques de documents.
- On aurait pu passer des heures sur cet ordinateur à essayer des choses. Mais cela n'aurait fait que bloquer plus longtemps l'ordinateur de l'utilisatrice.
- Sauf si on avait trouvé une solution, on aurait pu sauver son travail.
   Ben est contrarié. Il annonce.
- Toi, tu t'entendras très bien avec Caroline. Elle aussi, elle est du genre à chercher la petite bête.
- Caroline, je ne l'ai pas encore vue ...
- Elle ne fait rien comme les autres, elle passe ses journées dans les bureaux, avec les utilisateurs.
- Ce n'est pas ça notre travail ?
- Non, notre travail est de remettre en état de fonctionnement les outils informatiques des utilisateurs. On ne peut pas résoudre tous leurs problèmes à leur place.
- Bien noté.




   La promenade reprend. Les deux compères arrivent maintenant en vue d'un espace de bureaux ouvert. Ben s'arrête et montre un des bureaux à Églantine en lui disant.
- Cette dame a un problème avec un écran qui scintille. Je te laisse faire.
- Faire quoi ?
- Résoudre l'incident ... le plus vite possible.
- OK.
   Églantine s'approche du bureau et se présente.
- Bonjour, je suis Églantine, du support informatique.
- Bonjour, répond la dame assise derrière le bureau.
- Il me semble que vous nous avez appelé pour un problème avec votre écran.
- Ah oui. Il fait des choses bizarres quand je le bouge. Regardez.
   La femme empoigne son écran par les côtés et le fait pivoter plusieurs fois sur son socle. Églantine peut vérifier que l'image vacille à chaque mouvement. Elle se dirige alors vers l'arrière de l'ordinateur et remarque que l'écran n'est pas bien connecté à l'unité centrale. Après avoir enclenché la prise correctement, elle demande.
- Vous pouvez ré-essayer de bouger votre écran.
   La femme s'exécute. L'image ne vacille plus.
- C'est super, dit-elle.
   Ben ne bouge pas et ne dit rien. Églantine annonce.
- Voilà, problème résolu.
   La femme hésite deux secondes puis reprend.
- Comme vous êtes là, vous pouvez peut être m'aider sur ma configuration...
- Bien sûr.
   La femme offre son plus beau sourire à Églantine pendant que Ben fait la moue. La femme annonce.
- Voilà, j'ai un collègue qui a un bouton dans son exxel pour les additions. J'aimerais bien l'avoir.
- Ah, ... pour les additions. Et il fait quoi exactement ?
- Des additions. On appuie dessus et ... toutes les additions sont faites.




   Ben intervient.
- Églantine, on nous attend pour d'autres interventions.
   La femme tourne la tête vers Ben, l'air contrarié.
- Vous ne voulez pas m'aider.
   Églantine n'a pas le temps d'ouvrir la bouche, c'est Ben qui lui répond.
- On a résolu l'incident pour lequel vous avez ouvert un ticket. Ceci est un autre problème et on ne peut pas le résoudre maintenant.
- Oui, mais l'autre technicien, il nous aide.
- C'est une question d'emploi du temps, madame. Si on peut vous aider, on le fait avec plaisir. Mais il y a d'autres utilisateurs qui sont bloqués et on doit les aider aussi.
- Ça veut dire que vous allez repasser quand vous aurez du temps libre ?
- Aujourd'hui, c'est une journée un peu folle. Je crois qu'il va falloir ouvrir un nouveau ticket pour votre problème de bouton.    C'est juste un coup de téléphone.
- Ils ne comprennent rien quand je les appelle...
- Il faut juste leur dire qu'il vous manque un bouton. On comprendra.
- Bien.
   Ben fait signe à Églantine de le suivre.
- Au revoir, fait-il à la femme qui les regarde partir.
   La femme répond à Églantine.
- Merci.
   Puis elle lui glisse à voix basse.
- La prochaine fois, venez seule. Vous avez l'air gentille vous.
   Églantine lui sourit et se dirige vers Ben.




   Ben et Églantine sont dans le couloir. Il lui annonce.
- Bon, on peut rentrer au bureau.
- Quoi, on a fini la tournée ?
- Oui.
- Et cette histoire d'utilisateurs bloqués ?
- Il y en a sûrement. On le saura quand on arrivera au bureau. À ce propos, tu peux me remercier. Parce que tu aurais pu passer le reste de ta journée avec cette utilisatrice.
- Et ?
- Si tu passes une journée pour résoudre un ticket d'incident, ça ne va pas le faire du tout.
- Vaut-il mieux passer du temps à expliquer qu'on ne peut pas les aider ou passer du temps à essayer de résoudre leurs problèmes.
- Ils auront toujours des problèmes. La seule façon d'être tranquille est qu'ils fassent avec ce qu'ils ont et qu'ils arrêtent de croire qu'ils peuvent avoir plus. Il ne faut pas donner de mauvaises habitudes aux utilisateurs, en leur faisant croire qu'on peut tout faire avec un ordinateur.
- Donc on en fait le minimum.
- Non, moi, j'en fais le maximum, de tickets d'incident.




Ce qu'il faut retenir :
- Il y a de la compétence et de l'incompétence partout. Il y a de la bonne volonté et de la mauvaise volonté partout aussi.

- Un service est avant tout une performance qualitative. On ne peut pas utiliser une mesure quantitative pour mesurer une performance qualitative. Il y a des domaines où la politique du chiffre est une aberration. (Toute référence à des situations non liées au domaine de l'informatique où des dirigeants essayent de mettre en place un politique du chiffre serait purement fortuite.)



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