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Épisode 20 : Discrimination...


Églantine a lu un article sur un blog qui l'a interpellée.
Elle souhaite en parler avec Caroline (cf. épisode 9) pour avoir son avis.



   Églantine vient de finir la lecture d'un article sur un blog. Elle a un goût amer dans la bouche. Après quelques secondes de réflexion, elle se décide à demander conseil. Tout ce qu'elle a à faire maintenant, c'est d'attendre que Caroline repasse dans le bureau en faisant semblant d'être très occupée.
   Après une heure d'attente, la porte s'ouvre et, cette fois-ci, c'est Caroline qui entre dans la pièce. Églantine se lève d'un bond et se dirige vers elle. Arrivée à ses côtés, elle commence :
- J'ai besoin de te parler d'un truc important.
- Tout de suite ?
- Pas tout de suite, mais le plus tôt sera le mieux.
- OK. Tu veux en parler ici ?
- Ça non.
- Bon, je mets à jour la base des incidents et on va aller faire une pause conversation. Je connais l'endroit idéal.
   Églantine retourne s'asseoir quelques minutes. Elle continue de ruminer ses questions. Une main se pose sur son épaule : c'est Caroline. Elle ne l'avait même pas vue se lever. Caroline lui demande :
- On y va ?
- Je te suis.
   Après une courte promenade dans les couloirs, les deux femmes se retrouvent devant une machine à café. Églantine demande :
- On sera vraiment tranquilles ici ?
- À cette heure-ci, oui. Les ingénieurs de cet étage sont réglés comme des pendules. Ils font deux pauses par jour tous ensemble. Le reste du temps, l'endroit est désert.
- OK.
- Qu'est-ce que tu voulais me dire ?
- C'est ennuyeux...
- On n'est pas venues jusqu'ici pour que tu me dises ça ?
- Non, non. En fait je viens de lire un article, et ça m'a perturbée.
- Mais encore ?
   Églantine marque une pause et annonce :
- Ça parlait de sexisme dans le monde informatique.
- De sexisme...
- Oui, et j'ai commencé à y réfléchir, et...
   Caroline la coupe et demande :
- Tu t'es sentie visée et tu ne sais pas comment en parler.
- Au contraire, je n'ai pas du tout l'impression d'être une victime.
- Ah...
- Dans l'article, ils ne parlaient clairement pas de cas isolés.




   Caroline fixe Églantine et lui dit :
- Si ça peut te rassurer, tu es victime de sexisme mais ta personnalité et ta situation font que tu ne t'en rends pas compte.
- Pardon ?
- Il y a deux types de sexisme. Le premier, c'est le sexisme de base.
- De base ?
- De base, parce que c'est une expression de soi qui est primaire dans certaines circonstances.
- ...
- Ce sexisme ressemble aux moqueries d'une cour de récréation. Avec des enfants qui ont besoin de se moquer ou de rabaisser les autres pour trouver leur place et se sentir valorisés. Dans une entreprise aussi, certaines personnes n'ont pas vraiment trouvé leur place et doivent se sentir valorisées... par tous les moyens.
- Ah...
- Et tu ne te sens pas concernée parce que tu as encore l'impression d'être dans une cour d'école. Tu ne vois pas le jeu de pseudo-pouvoir et d'influence qui se cache derrière toutes ces remarques, ces réflexions.
- Maintenant que tu le dis. Y a-t-il un moyen de lutter contre ça ?
- La seule façon que j'ai trouvée, c'est de s'endurcir.
- Comment ça ?
- Est-ce que tu crois que les techniciens ne me font pas de remarques parce qu'ils me respectent ?
- ...
- Ils ne me font pas de remarques parce qu'ils savent qu'à la moindre réflexion de leur part, cela va leur coûter très cher.
- Quoi ?
- Ils sont comme des petits chiens que l'on tape sur la tête à chaque bêtise. J'ai donné assez de coups et ils n'en veulent plus.
   Églantine est surprise. Elle demande :
- Des coups ?
- Pas physiquement. Tu montres avec des mots ta position dans l'équipe de façon à ce qu'elle ne soit pas remise en cause.
- C'est la seule façon ?
- Non, ça c'est la solution de facilité. Tu peux aussi aider la personne qui fait ces remarques à trouver sa place et à avoir suffisamment confiance en elle pour qu'elle n'en fasse plus.
- C'est plus dur, effectivement.
- Ma solution est plus simple, mais elle ne résout le problème que pour moi. L'autre solution est plus dure, mais elle résout le problème pour tout le monde. Choisis ton camp, camarade.




   Après une petite pause, Églantine demande :
- Tu as parlé d'un deuxième type de sexisme. Ça se présente comment ?
- C'est un sexisme plus sournois, plus difficile à mettre en lumière parce qu'il n'est fait que de coups bas.
- ...
- Dans une cour de récréation, tu n'es pas une menace pour tes professeurs. Dans une entreprise, tu peux être une menace pour tes patrons.
- Carrément.
- Toutes les carrières ne progressent pas à la même vitesse. Un jour, tu travailles pour eux et un jour tu travailles avec eux..., ou même, ils travaillent pour toi.
- Et alors ?
- Beaucoup d'hommes préfèrent travailler avec d'autres hommes. Et ils préfèrent encore plus travailler pour d'autres hommes.
- ...
- Les hommes aiment bien être entre eux. Ils peuvent se laisser aller et c'est mieux pour leur ego de travailler sous la responsabilité d'un homme.
   Églantine marque une pause et soupire :
- Pas cool.
- Comme tu dis. Mais on est encore dans une période de transition.
- Période de transition ?
- On est parties de bobonne à la cuisine il y a quatre ou cinq générations et on devrait arriver à une sorte de parité dans quelques générations. Ce genre de choses ne peut pas changer du jour au lendemain. Chaque évolution se fait à l'échelle de décennies donc c'est difficilement perceptible.
- ...
- Il y a du changement, même si c'est très lent. Cela fait près de vingt ans que je suis dans cette entreprise, au service informatique, et je peux te dire que c'est le jour et la nuit comme situations.
- Ah...
- C'est frustrant, mais c'est très valorisant pour la femme qui arrive à faire avancer les choses, même un tout petit peu... et pour l'homme qui laisse faire. Pour libérer un Nelson Mandela, il faut souvent un Frederik de Klerk.
- Quoi ?
- Laisse tomber, tu es trop jeune.
   Églantine réfléchit un peu puis demande.
- Tu crois que le fait que je ne m'en rende pas compte montre qu'on y est arrivées ?
- Non, on n'y est pas arrivées. On en est encore loin. Si tu ne t'en rends pas compte, c'est que tu n'en es pas du tout victime.
- Ah bon.
- Tu n'es pas une menace ici.
- Comment ça ?
- Les hommes de pouvoir te considèrent comme une petite fille. Ils ont plus envie de te protéger que de t'agresser.
- Mais je ne suis plus une petite fille...
- Euh, tu veux vraiment mon avis sur ce point ?
- Oui.
- OK. D'abord, est-ce que tu as la notion de carrière ?
- ...
- C'est la première notion qu'une grande personne doit maîtriser dans une entreprise.
   Églantine marque une pause et répond :
- On ne peut pas dire que ta carrière soit...
- J'ai fait un choix de carrière, cela ne veut pas dire que je n'en aie aucune notion.
- ...
- Je suis ici pour faire la carrière de mon choix. Tu es ici plus pour t'amuser que faire carrière. Et donc tu n'es pas une menace, pour ceux qui veulent faire carrière.
- Ah...
- Ensuite, tu es là depuis quelques jours seulement, tu ne peux vraiment pas te rendre compte.
- Oui, c'est vrai. J'y serai plus attentive à l'avenir.
- Tu veux dire que tu vas arrêter de t'amuser tout le temps ?
- On ne peut pas faire carrière en s'amusant ?
- On peut, mais c'est très difficile. Il faut avoir un protecteur très puissant.
   Églantine sourit à Caroline :
- Bien noté.




   Après quelques secondes de silence, elle ajoute :
- Je suis une victime, même si je ne m'en rends pas vraiment compte.
- Non, tu es une victime si ça te porte un préjudice.
- Mais...
- Attention à ne pas en faire trop. Tu dois te sentir concernée, voire être attentive. Mais tu ne peux pas te considérer comme une victime aujourd'hui. Tu ne te sens pas insultée par les remarques misogynes et ta carrière ne risque rien.
- Je ne suis pas une victime si je ne prends pas sérieusement toutes les remarques stupides qui me sont faites.
- Non. C'est là qu'on voit que tu es ici pour t'amuser pendant quelques jours et pas pour faire carrière. Quand tu imagines devoir supporter ces réflexions pendant des années, c'est beaucoup plus dur de passer outre. Et là, tu peux te considérer comme une victime.
- OK.
   Caroline poursuit :
- Il ne faut surtout pas que tu te sentes victime avant de l'être vraiment. Tu me sembles assez forte pour lutter contre le sexisme primaire toute seule.
- Je n'ai même pas l'impression de lutter.
- Comme je te l'ai dit, tu es assez forte et assez détachée pour que ça ne te marque pas.
- C'est aussi une bonne excuse pour les remettre à leur place sans le moindre scrupule.
- Exactement. Et ça peut même déboucher sur de la connivence.
- De la connivence ?
   Caroline marque une pause, puis répond :
- Quand je discute avec le père Leloup (cf. chapitre 17), il m'arrive de le qualifier de vieux con, et il me répond que je ne suis qu'une bonne femme et que je serais mieux dans ma cuisine. Il n'y a aucun souci car on sait tous les deux que c'est une façon de terminer une conversation où l'on ne sera jamais d'accord.
- ...
- C'est une façon ludique de dire "Tu fais chier, tu ne comprends jamais rien". Ça évite de se faire la gueule. On sort chacun une grosse connerie pour se convaincre qu'on a raison et on passe à autre chose.
- Ça, j'aime bien.
- C'est bien de pouvoir en arriver là. Mais ce n'est pas donné à tout le monde, et il faut plusieurs mois, voire plusieurs années pour y arriver.
- OK.




   Caroline fait une pause puis ajoute :
- Attention, il ne faut pas croire que tu ne seras jamais une victime.
- Comment ça ?
- Tu ne sais pas ce que seront tes envies et ton état d'esprit à l'avenir. Ce que tu trouves amusant aujourd'hui pourra t'irriter demain.
- Et alors ?
- C'est juste pour te dire de bien être vigilante.
- Pourquoi ?
- Parce que le jour où ça se passera moins bien, à cause d'une remarque ou d'une action, il ne faudra pas attendre pour en parler.
- ...
- Plus tu laisses s'installer une situation, plus il est difficile de la changer par la suite.
- Ah...
- Par exemple, il te serait difficile de faire remarquer aux techniciens qu'ils doivent arrêter leurs remarques misogynes. Tu en as laissé passer quelques-unes, et ils ne comprendraient pas que tu le prennes mal. Ce ne serait pas très cohérent.
   Églantine est surprise. Elle demande :
- Donc, je ne peux plus rien y faire maintenant ?
- Non, je n'ai pas dit ça. J'ai juste dit qu'il ne faut pas attendre pour agir. Dès que tu sens un malaise, il faut crever l'abcès au plus vite.
- OK.
- Le jour où tu n'accepteras plus ces remarques stupides, cela voudra dire que tu es devenue une grande personne carriériste.
- Quelle misère...
- Fais attention, ce jour arrivera plus vite que tu ne le crois.
- ...
   Caroline poursuit :
- En attendant, tu peux observer tes collègues. Elles n'ont pas toutes ton caractère et n'arrivent pas toujours à demander de l'aide. Si tu es témoin d'une remarque ou d'une action répréhensible, rien ne t'empêche d'intervenir.
- Comment ?
- D'abord, en demandant à la personne victime comment elle se sent et ce qu'elle veut faire.
- Rien de plus ?
- C'est toujours à la victime de décider ce qu'elle veut pour elle. Tu peux l'aider mais tu ne dois pas décider pour elle.




   Après une courte période de silence, Caroline poursuit :
- Voilà, tu sais tout. Le sexisme est utilisé comme une arme de protection par des hommes le plus souvent incompétents, mal dans leur peau. Toutes les armes sont utilisées pour protéger son emploi, sa carrière, sa position sociale, même les plus viles. Surtout les plus viles...
- Ce n'est pas très rassurant.
- Au contraire. Tu sais que si tu as affaire à un misogyne, c'est lui qui a un problème pas toi. D'ailleurs, c'est souvent le problème insurmontable des victimes. Elles croient être la source du problème. Alors que ce n'est pas du tout le cas.
- ...
- Et chercher des problèmes qui n'existent pas n'est pas du tout recommandé.
- Je vois. Le sexisme existe donc dans le monde informatique.
- Le sexisme existe dans le monde. Comme le monde informatique est aujourd'hui beaucoup plus masculin que féminin, le misogyne a plus de facilité à s'en sortir.
- Ah...
- Il y a des métiers plus masculins car ils font appel à des caractéristiques plus masculines comme la force physique. Ce n'est pas du tout le cas dans le monde de l'informatique. C'est peut-être pour ça que bon nombre d'informaticiens ont peur des informaticiennes.
- Ils ont bien raison.
- Nous vivons dans un monde de compétition. Certains arrivent à s'en sortir en respectant les règles du jeu. D'autres ont besoin d'un peu plus.
- Je vois ça.
- Il n'y a pas que les hommes qui aiment la compétition.
- ...
- Qualifier une personne de misogyne alors qu'elle ne l'est pas est une façon de la discréditer et de l'affaiblir.
- Ça arrive ?
- Je n'en ai jamais vu, mais je n'imagine pas que ça n'existe pas. Comme je te l'ai dit, tous les coups bas sont permis dans un monde de compétition. C'est pour ça qu'il faut bien faire attention à traiter des cas particuliers précis. Il y aura toujours des personnes pour faire l'interprétation qu'elles voudront.




   Églantine marque une pause et dit :
- Ça m'a l'air bien compliqué tout ça.
- Bienvenue dans un monde de grandes personnes, de lutte de pouvoir et d'influence.
- Ouais, mais quand même...
- Et je ne t'ai parlé que de sexisme. Ce n'est que l'une des discriminations dans notre société.
- Quoi ?
- Tout le monde est susceptible d'être une menace pour un discriminateur.
- Une menace ?
- Le discriminateur a la fâcheuse tendance à se sentir en danger pour un rien. Comme il se sent en danger, il trouve légitime de se défendre. Et se défendre quand on n'a pas été attaqué, c'est juste une agression. Certains ont des cibles privilégiées, d'autres s'attaquent à tout ce qu'ils peuvent.
- Quel monde bizarre...
- Je ne te le fais pas dire.




Ce qu'il faut retenir :
- Plus facile à écrire qu'à faire.

- Il faut plus de femmes dans les services informatiques.
Les garçons manqués sont aussi les bienvenus mais il faut surtout des femmes qui assument leurs différences.
Différences + Bêtise + Ignorance = Conflits.
Différences + Savoir + Intelligence = Complémentarité.

- Humble conseil pour une "victime" de discrimination : ne jamais se sentir comme une victime sans défense ni ressource.
Il faut réagir parce que le problème ne partira pas tout seul.
LE PROBLÈME NE PARTIRA PAS TOUT SEUL.
Mettre les choses au point au plus vite.
Si une situation s'installe, c'est beaucoup plus difficile de la changer par la suite.

- Si le problème ne peut être résolu par la personne qui est la cible, il faut appeler du renfort. Dans l'environnement proche ou par des associations.
La discrimination est une situation inacceptable et il y aura toujours quelqu'un pour trouver une solution.
Pas forcément en cinq minutes mais il y aura toujours quelqu'un pour aider.

- Le meilleur remède à la bêtise et l'ignorance est d'utiliser le savoir et la compétence.
C'est une solution longue à mettre en place mais très efficace.

- C'est triste, mais c'est comme ça.
Comme pour toutes les discriminations, certaines femmes préfèrent rester victimes de misogynes car les avantages sont plus importants que les inconvénients (combien de femmes battues restent-elles avec leurs conjoints ?).
Mais si une femme veut s'en sortir aujourd'hui, elle le peut, même si ça peut lui coûter cher.
Après, tout est une question de priorités...

- Le sexisme est UNE des innombrables discriminations présentes dans notre société.
La Halde prend en compte TOUTES les discriminations parce qu'aucune ne mérite plus d'attention qu'une autre....



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