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Épisode 16 : La réunion d'équipe


Chaque équipe a besoin de se rassurer sur son utilité.
Certaines plus que d'autres...



   Églantine vient de finir une intervention. Elle retourne dans le bureau des techniciens pour remplir son rapport. À son arrivée, Manu, son responsable, l'interpelle :
- Églantine, laisse tomber tout ce que tu es en train de faire, nous allons commencer la réunion hebdomadaire.
- Quelle réunion ?
- Chaque semaine, nous nous réunissons pour faire le point sur ce qui s'est passé et essayer d'améliorer notre rendement.
- Ah...
- Ah quoi ?
- Vraiment... vous avez besoin de vous améliorer ?
- On a toujours besoin de s'améliorer.
   Églantine ne répond pas. Elle se dirige vers son ordinateur et annonce :
- Je fais juste mon rapport pour le dernier incident.
   Pendant qu'elle remplit son formulaire, elle se rend compte que les techniciens arrivent les uns après les autres dans le bureau. Ils s'installent devant leur ordinateur et commencent à discuter de tout et de rien. Églantine a fini son rapport, elle observe la pièce avec curiosité. Puis, Manu coupe court aux discussions. Il annonce :
- Bon, on va commencer la réunion.
   Il regarde la porte du bureau qui est restée entrebâillée. Il demande à Adil :
- Tu peux fermer la porte, s'il te plait.
   Adil se lève et va fermer la porte. Pendant ce temps, Manu continue :
- Voilà, encore une semaine de passée...
   Églantine lève la main. Manu le remarque et lui demande :
- Oui, Églantine, qu'est-ce que tu veux ?
- On n'attend pas Caroline pour démarrer la réunion ?
   Un murmure parcourt le bureau. Manu lui répond :
- Elle ne vient que rarement à la réunion. Elle a souvent des interventions... à ce moment de la semaine...
- Et c'est pas plus mal, fait remarquer un technicien qu'Églantine n'arrive pas à identifier.
   Elle fait une moue dubitative. Manu ajoute :
- Il n'y a pas de souci. Elle m'a fait part de ses réflexions et je lui donne les comptes-rendus en retour.
   Églantine est surprise que Manu se sente obligé de lui donner des précisions. Elle lui répond :
- C'était juste pour demander. C'est juste que je ne la vois pas, c'est tout.




   Manu enchaine :
- Bon, on va pouvoir commencer.
   Il regarde Églantine et lui demande :
- Qu'est ce que tu penses de l'entreprise ?
- Quoi ?
- Cela fait quelques jours que tu es parmi nous. Tu dois bien avoir un avis concernant l'entreprise.
   Églantine jette un regard à la ronde et se rend compte que tous les techniciens la scrutent. Elle répond :
- Je ne sais pas trop quoi dire. C'est ma première mission dans une grande entreprise...
- Juste dis-nous quelles sont tes impressions. Est-ce que tu es déçue, surprise de ce que tu as vu ?
- Là, comme ça, en quelques mots, je ne sais pas trop quoi dire. Ah si ! Je ne pensais pas qu'il pouvait y avoir autant de situations différentes à gérer.
- Comment ça ?, demande Manu.
- Eh bien, je trouve qu'avec un peu de méthode, on pourrait s'éviter beaucoup d'interventions répétitives.
- ...
- Et puis, je trouve qu'une formation de base à l'informatique devrait être obligatoire pour tous les utilisateurs.
   Manu marque une pause, et lui répond :
- S'il n'y a plus de problèmes informatiques, il n'y a plus d'équipe de support.
- Il y a toujours besoin d'une équipe de support, mais il n'est pas obligatoire qu'elle passe son temps à réparer des bourrages papier, à vérifier des câbles mal connectés, ou à installer des mises à jour d'applications.
   Ben intervient :
- On ne vit pas dans un monde enchanté, on vit dans la réalité.




   Églantine lui répond :
- C'est juste un avis. Je fais avec ce que j'ai mais si je peux avoir mieux, je ne vais pas me priver. Je n'ai pas l'intention de faire du bourrage papier pendant dix ans...
   Manu la coupe :
- OK,... on n'est pas ici pour se battre, juste pour donner son avis.
- Ce n'est pas ce que j'ai fait ?, demande Églantine.
- Si, si, je ne te fais pas de reproche. Et tiens, tant qu'on y est, qu'est-ce que tu penses de l'équipe ?
   Long silence. Églantine finit par demander :
- À quel niveau ?
- Ce que tu veux.
- D'abord, je trouve qu'il y a une bonne ambiance générale.
- ...
- Enfin, je veux dire, c'est bien d'avoir une bonne ambiance dans une équipe de support. C'est si facile de se renvoyer les problèmes à la figure.
   Court silence. Manu demande :
- Et pour finir, est-ce que tu as un reproche à faire à l'équipe ?
- Euh, c'est un peu difficile comme ça. Je ne suis là que depuis quelques jours...
- Même pas un petit commentaire ?
- Ah si, je n'aime pas la culture du chiffre pour évaluer la qualité d'un service.
- ...
- Voilà, c'est tout.
   Manu lui répond :
- C'est juste la base de l'évaluation de notre travail.
- C'est toi qui as voulu un reproche. Tu l'as.
- Tu as mieux à proposer ?
- Quand je vois Caroline, elle n'a pas l'air de faire du chiffre. Et elle semble plutôt appréciée des utilisateurs.
   Ben intervient :
- On n'est pas là pour être apprécié des utilisateurs. On est là pour résoudre des incidents.
   Silence dans la salle. Églantine répond à Manu :
- C'est sympa cette façon de commencer une réunion.




   La remarque d'Églantine fait sourire Manu. Il lui répond :
- Bien noté.
   Après un court silence, il poursuit :
- Bon, nous voilà ensemble pour la réunion hebdomadaire de l'équipe support. Avec ses fameux trophées... et ses précieuses statistiques.
   Des murmures se font entendre. Une certaine excitation envahit la pièce. Églantine ne comprend pas du tout ce qui se passe, mais ça commence à l'amuser. Manu débute sa présentation :
- Comme d'habitude, nous allons commencer par la remise des trophées. Bravo à Ben pour l'intervention la plus rapide de la semaine. Encore une fois, il a réussi à faire faire un reboot en moins d'une minute.
   Des applaudissements se font entendre. Manu continue :
- Ensuite, nous avons encore Ben pour l'intervention la plus récurrente. On a encore changé la souris de Madame Dibule, et c'est Ben qui a gagné le droit de le faire.
   Nouveaux applaudissements. Manu remarque le visage surpris d'Églantine. Il lui dit :
- Madame Dibule nous appelle toutes les semaines parce que sa souris est trop usée. On a donc deux souris pour elle. Et on les échange à chaque appel.
- Il n'y a pas moyen de lui expliquer ?, demande Églantine.
- On a essayé... et puis on a abandonné, répond Manu. Et puis, ça fait un peu de suspense pour savoir qui va prendre l'appel chaque semaine.
   Petite pause de Manu. Il poursuit :
- Un bravo pour Fred pour l'intervention la plus ridicule. Nous avons eu cette semaine un utilisateur qui a réussi à coincer un CD dans l'interstice de la coque de son ordinateur.
   Applaudissements, Manu continue :
- Cela me fait penser que je vais devoir envoyer un message à tous les utilisateurs pour leur rappeler que le lecteur de CD n'est pas un interstice dans la coque de l'ordinateur, c'est le porte gobelet.
   Les murmures reprennent. Églantine entend des "Ils ne sont pas malins", des "Ils sont graves", échangés par les techniciens. Manu reprend la parole :
- Maintenant, un grand bravo à Adil pour l'intervention la plus dangereuse. Une synchronisation de PDA à la direction générale. Il a réussi à clôturer l'incident en moins de deux jours et il est toujours en vie. Bravo à lui.
   Des applaudissements se font entendre. Manu continue :
- Et pour finir, l'intervention la plus importante. Ben a enfin réussi à faire comprendre à Madame Toufeau qu'elle peut redémarrer son ordinateur toute seule.




   Églantine demande :
- Ça ne vous fait pas perdre une intervention facile ? En quoi cela est-il important ?
   Manu répond :
- C'est important parce que cette brave dame veut toujours savoir pourquoi son ordinateur plante, elle fait toujours un rapport de ce qu'elle était en train de faire et ça dure des heures. C'est très important qu'on ne passe pas des heures à résoudre des incidents.
- ...
- Voilà, c'est tout pour les trophées de cette semaine...
   Églantine lui coupe la parole :
- Pourquoi n'y a-t-il pas de trophée pour l'intervention la plus pertinente, la plus instructive, la plus constructive, ... ?
- ...
   Silence dans la salle. Elle poursuit.
- Ce ne serait pas bien d'apprendre et de faire apprendre des choses par le biais des interventions ?
   Manu lui répond :
- Dans un monde parfait, ce serait possible. Mais pas dans la réalité. Quand on voit les utilisateurs, ils sont dans un tel état de stress qu'ils ne sont pas capables d'apprendre quoi que ce soit. Donc on fait repartir la machine, sans plus. Il n'y a rien de pertinent, ou d'instructif, c'est juste productif.
   Ben intervient :
- En plus, ils ont souvent un problème. On a beau leur dire les choses dix fois, vingt fois, ils ne comprennent rien.
   Retour des murmures qui se transforment en critiques :
- Ce n'est pas compliqué de rebooter un ordinateur...
- Ils nous parlent comme si on était des larbins...
- Ils pleurent facilement quand ils ont besoin de nous, mais il n'y a plus personne ensuite...
- On ne fait pas partie de leur monde...
- Les femmes sont plus douées avec des fers à repasser qu'avec des ordinateurs...
   Manu fait signe pour ramener le silence. Il regarde Églantine :
- La dernière remarque ne t’est pas adressée, bien sûr.
- J'en prends note.
   Ben ajoute :
- Ouais mais, en général, l'informatique et les femmes, ce n'est pas ça...
- Au contraire, les femmes et l'informatique, ça marche très bien. Seulement, on se concentre sur le fonctionnel et pas sur le tape-à-l'oeil. Alors, forcément, ça se voit moins bien. Mais ça marche tellement mieux...
   Manu reprend la parole :
- OK, on va arrêter là avec ce genre de discussion. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Et tout le monde, il est fort en informatique.
   Silence dans la salle. Manu continue :
- Je vais maintenant vous donner les statistiques de la semaine...




   Caroline entre dans la pièce et lance :
- Salut, les gros nazes.
   Silence dans les rangs. Manu la reprend :
- Caroline..., s'il te plaît.
   Elle regarde autour d'elle puis reprend :
- Ah pardon. Salut Églantine... et les gros nazes.
   Nouveau silence. Elle poursuit :
- Je n'arrive pas trop tard pour la réunion ?
   Manu la regarde et lui répond :
- Tu arrives juste à temps pour les statistiques.
- Super.
- Alors, cette semaine nous avons eu une hausse de trois pour cent des interventions. Le temps moyen d'intervention est tombé à douze minutes, et le temps de résolution à une heure quarante-trois minutes. Merci aux deux incidents qui ont mis trois jours à être résolus. Voilà, c'est tout.
   Caroline prend la parole :
- Je suis arrivée trop tard pour la remarque misogyne de la semaine ?
   Silence dans la pièce. C'est Églantine qui le rompt :
- Oui. Mais tu ne l'as pas loupée de beaucoup...
   Après quelques secondes de regards échangés sans bruit, Manu intervient :
- La réunion est finie. Des questions ?
   Personne ne prend la parole. Manu poursuit, en regardant Caroline et Églantine :
- Mesdames, j'ai l'impression que vous avez plein de choses passionnantes à vous raconter, entre vous.




   À la fin de cette phrase, tous les techniciens retournent à leurs occupations. Caroline se lève et fait un signe de tête à Églantine pour l'inviter à sortir de la pièce. Cette dernière la rejoint dans le couloir. Caroline commence :
- Je suis désolée d'être arrivée si tard. J'avais oublié cette connerie de réunion hebdomadaire.
- Désolée de quoi ?
- Il t'a fait le coup de ton opinion sur l'entreprise ?
- Oui.
- Et de l'équipe ?
- Oui.
- Et alors ?
- Alors, rien. J'ai dit deux trois trucs qui me sont passés par la tête.
- Ah...
   Églantine marque une pause, et poursuit :
- Tu sais, j'ai eu à affronter des situations bien plus stressantes que de dire ce que je pense à des techniciens informatiques.
   Caroline lui fait un sourire :
- Tu vas presque me manquer.
- Attends, je ne suis pas encore partie.
- Quoi ! Tu veux rester travailler avec cette bande de nazes ?
- Pas vraiment. Mais on ne sait jamais ce que nous réserve l'avenir.
- T'as vraiment peur de rien...
- Je devrais avoir peur de quoi dans une entreprise ?
- Des gros nazes.
- Moi, je les appelle les ouinedoziens, ces professionnels de l'informatique qui ne savent que cliquer sur des boutons. Et, non, je n'ai pas peur d'eux. Ce serait plutôt à eux d'avoir peur de moi.
- Ouais, tu vas presque me manquer.




Ce qu'il faut retenir :
- C'est tellement simple de se moquer de l'incompétence (ignorance) des autres pour masquer sa propre incompétence (ignorance).
Non, je ne me sens absolument pas visé...

- Les statistiques, le seul outil fiable pour évaluer la qualité d'un service (!!!).
Même un sondage serait plus pertinent.



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