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Épisode 14 : Des solutions... radicales


Églantine continue d'énoncer ses conseils pour refaire le monde en beaucoup mieux.

Certains projets informatiques ont des problèmes... certains projets informatiques sont un problème.
Les épisodes 12 à 14 parlent d'un projet informatique qui est un problème.
Il est fortement conseillé de prendre tous les conseils d'Églantine avec des pincettes...



   Églantine fait toujours face à Monsieur Lessig et Monsieur Dantou. Ils lui ont demandé de leur donner des éléments pratiques pour poursuivre leur projet. Elle leur dit :
- D'abord, il faut que vous évaluiez la pertinence de continuer ce projet tel qu'il est.
- Pardon ?, s'insurge Monsieur Dantou.
- Si vous avez fait appel à moi, je me doute que vous êtes dans une situation des plus inconfortables. S'il n'y a pas moyen d'améliorer cette situation, il est plus que responsable de penser à prendre des mesures drastiques.
- Vous voudriez qu'on arrête le projet ?
- Je n'ai pas dit ça. J'ai juste soumis l'idée que cela soit une possibilité. À vous de l'étudier. Vous avez perdu de l'argent si vous arrêtez. Mais vous allez dépensez plus d'argent en continuant. Si c'est pour avoir un mauvais produit, d'après ce que j'ai entendu en réunion...
   Monsieur Dantou intervient :
- Il ne sera pas si mauvais que ça...
- Si, il le sera. J'ai trois utilisateurs qui peuvent en témoigner et un prestataire qui passe plus de temps à préparer le devis de la deuxième version de l'outil qu'à travailler sur la première version.
- ...
- Une étude objective vous permettra de savoir si vous êtes dans un puits sans fond. On fait tous des erreurs, plus tôt elle sont admises, moins il y a de conséquences.
- C'est dur à avaler...
- Je ne vous dis pas ce que vous devez faire, je vous dis ce que je ferais. Après, vous avez trois possibilités. La première, vous vous rendez compte que l'outil n'est pas indispensable aujourd'hui. Vous stoppez tout et tout le travail fourni part en pertes. La deuxième, vous avez besoin de l'outil mais le projet actuel est un puits sans fond. Vous arrêtez le projet actuel et vous vous servez de tout ce que vous avez acquis d'outils et d'expérience pour démarrer un projet sain. La troisième, le projet est mal barré mais vous pouvez en récupérer le contrôle.
   Monsieur Lessig entre dans la discussion. Il dit :
- Admettons que nous soyons dans la troisième situation. Qu'est-ce que vous feriez ?




- La première chose à faire est de mettre en place une assistance à maîtrise d'ouvrage. Il faudra que vous ayez une confiance totale en cette ou ces personnes. Il faudra qu'elles aient le temps de tout vérifier. Et il faudra aussi qu'elles soient bien teigneuses.
- Comment ça ?
- Vos prestataires sont très en confiance et très heureux de la situation. La première chose à faire pour la maîtrise d'ouvrage sera de faire en sorte que les développeurs soient aussi mal à l'aise que les utilisateurs que j'ai vus en réunion. Pour ça, il vous faut des personnes capables de faire comprendre en trois mots à leurs interlocuteurs que s'ils ne sont pas heureux, ça va très mal se passer. Des teignes, quoi.
- Ah...
- Attention, ce sont mes conseils. Je ne suis pas du genre à me laisser faire quand ça se passe mal.
   Monsieur Dantou demande :
- Et ces personnes, à part mettre une mauvaise ambiance, elles vont faire quoi ?
- Elles doivent écouter vos demandes et les comprendre. Elles doivent ensuite les transmettre aux développeurs et s'assurer qu'elles seront réalisées, si c'est possible.
- Comme quoi ?
- Comme de rajouter des éléments dans un formulaire, comme de rajouter des formules de validation et j'en passe.
- Et ça va changer quelque chose ?
- Probablement. Parce qu'elles savent ce qui est possible, ce qui coûte cher. Les développeurs auront beaucoup moins tendance à leur raconter n'importe quoi.
- Je ne suis pas sûr...
- On est jamais sûr de rien. C'est à vous de bien les choisir. Il y en a des bons... et des moins bons.
- Ah...
- S'ils ne comprennent pas en deux minutes votre besoin de formulaire et de validation, vous pouvez passer votre chemin. Ensuite, s'ils ne sont pas capables de l'imposer aux développeurs en trente secondes, ils ne sont pas faits pour ce projet.
   Monsieur Lessig demande :
- Vous pensez que ces personnes peuvent changer les choses ?




- Toutes seules, sûrement pas. C'est pour ça que dans un deuxième temps, il faut que vous mettiez vos avocats sur le coup.
- Nos avocats ?
- Ben oui. Des personnes qui vont lire les petites lignes de tous vos contrats pour voir ce que vous pouvez en faire.
- Ah..., vous voulez dire notre département juridique.
- Quoi, vous avez des avocats à plein temps ?
- Pas des avocats, des juristes.
- Ah...
   Monsieur Lessig demande :
- On leur demande de chercher quoi dans les contrats ?
- Il serait préférable pour vous de payer dix personnes pendant cent jours que cent personnes pendant dix jours. Est-ce que les contrats que vous avez signés vous permettent de le faire ?
- Je ne sais pas.
- Que se passe-t-il si vous ne payez plus vos factures en temps et en heure ?
- ...
- Il faut que vous trouviez toutes les petites astuces, en restant dans le cadre légal, pour exprimer votre mécontentement.
   Monsieur Lessig fait une pause. Puis il demande :
- Vous voulez que l'on parte en guerre contre nos prestataires ?
- Non, je veux que le projet se passe au mieux. S'il y a besoin d'une période de guérilla pour ça, il faut être prêt à l'assumer. Sous peine de se faire balader comme aujourd'hui.
- Ah...
- Je n'ai pas dis que vous allez utiliser toutes les armes à votre disposition. Mais vous devez savoir ce qu'elles sont. Si vos prestataires ne vous font pas plaisir, vous avez de quoi ne pas leur faire plaisir. S'ils vous font plaisir, vous leur faites plaisir. Comme dans toute relation qui se respecte. Du donnant donnant.




   Monsieur Dantou se prend au jeu, il demande :
- Vous commenceriez par quoi ?
- Moi, je vire le directeur de projet. Ça va bien secouer le cocotier. Il ne sait faire que parler, vous ne pouvez pas avoir pire.
- Il est bien écouté par son équipe, c'est un bon manager.
   Églantine marque un temps puis répond :
- Vous ne préféreriez pas qu'il vous écoute vous ? Je comprends aisément pourquoi son équipe l'aime bien, il n'a pas l'air de leur demander trop de choses.
- C'est pas faux.
- Une autre chose qui peut remettre les idées des développeurs en place est de leur faire remplir une fiche d'activité.
   Monsieur Dantou dit :
- On en a plein les placards de rapports d'activité.
- Je vous propose de faire une fiche très scolaire et très solennelle.
- Comment ça ?
- Une partie de la fiche avec le nom, prénom, freelance ou salarié, si salarié, nom de l'entreprise avec laquelle ils ont un contrat de travail. Cela permet de mettre à jour tous les sous-traitants.
- C'est bien ?
- Ça permet de mieux discuter avec les commerciaux. Donc oui, c'est bien. Ensuite vous leur demandez le titre de leur mission, le nom de leur responsable et la liste des derniers livrables sur lesquels ils ont travaillé.
- ...
- Comme ça, vous pouvez construire un organigramme du projet et voir qui travaille pour qui et produit quoi.
- On n'est pas arrivés, fait remarquer Monsieur Dantou.
- Comme votre projet, répond Églantine. Et enfin, vous leur demandez de donner le numéro de téléphone du commercial qui s'occupe de leur contrat.
- Pourquoi ?
- Parce que c'est la première personne que vous allez appeler si vous voulez vous en séparer.
- Vous voulez vous séparer de développeurs?
- Non je veux mettre en place une équipe de développement optimale.
- Comment ça ?
- Pour tout projet, vous avez un nombre optimal de participants. Si vous en avez moins, il y aura un manque. Si vous en avez trop, les personnes en trop vont parasiter ceux qui travaillent vraiment. J'ai bien l'impression que vous avez beaucoup de parasites sur votre projet.
   Monsieur Lessig laisse passer un court silence. Puis il dit :
- Ça nous en fait des options à étudier...
   Églantine lui répond :
- Oh là, je n'ai pas fini.




- Comment ça, demande Monsieur Lessig.
- Vous voulez faire des économies et marquer votre territoire ?
- Qu'est-ce que vous avez en tête ?
- Vous mettez le projet en stand-by pendant une semaine et vous renvoyez tous les développeurs dans leur entreprise.
- Quoi ?
- Je n'y vois que des avantages et un inconvénient, la date de livraison est repoussée d'une semaine.
- Il y a des avantages ?
- D'abord, ça vous permet de réfléchir au projet en mode étude, avec peu de facturation.
- ...
- Ensuite, ça vous permet de montrer à votre prestataire qu'il va partager avec vous le poids économique de votre déconvenue. C'est lui qui devra payer à ses frais ses salariés pendant cette semaine.
- On a le droit de faire ça ?
- C'est à vos avocats..., vos juristes, de vous le dire. Il n'y a pas de raison qu'ils gagnent de l'argent grâce à vos problèmes.
   Monsieur Lessig prend la parole :
- Moi, j'aime bien cette idée. C'est un peu dingue mais si c'est possible... Enfin, je veux dire, j'aime bien cette idée.
- Seulement un peu dingue..., répond Monsieur Dantou.
   Églantine dit :
- Ce n'est pas un peu dingue, c'est complètement dingue. Mais si c'est possible, vous ferez progresser votre outil en une semaine comme il n'a jamais progressé. Et en faisant des économies en plus.
- On fait avancer un projet en le stoppant ?
- Vous stoppez le mode projet. Vous ne stoppez pas la progression de création de l'outil. Pour vous, ce ne serait pas une semaine de vacances. Loin de là.




   Monsieur Lessig regarde Églantine et lui demande :
- Ça vous dirait de participer au projet ?
- Pas du tout.
- Comment ça ?
- Je n'ai pas la patience et la diplomatie pour participer à ce genre de projet. Cela finirait forcément mal.
- Depuis quand les teignes ont-elles de la patience et font-elles de la diplomatie ?
- Bon, en fait, je n'ai pas envie de passer derrière les personnes que j'ai rencontrées. Et réparer leurs erreurs.
   Monsieur Lessig insiste :
- Allez, vous pourriez même utiliser vos trucs de liberté.
- Je vous l'ai dit, il n'en est pas question. D'ailleurs les logiciels libres ne peuvent vraiment pas vous aider dans la situation où vous êtes.
- Ça ne peut pas résoudre tous les problèmes ?
- Ils permettent plus de choses, donnent plus de liberté mais ne peuvent se substituer à la compétence d'une maîtrise d'ouvrage.
- Ah...
- Et surtout, je ne voudrais pas qu'ils servent de bouc émissaire en cas d'échec du projet.
   Monsieur Lessig sourit à Églantine et lui dit :
- Vous savez ce que vous voulez.
- Des fois. Votre proposition vient de me faire penser que vous devriez aussi multiplier les intérêts économiques, pour maintenir une compétition économique entre les différentes équipes du projet.
- Je ne vous suis pas...
- C'est quoi la carotte sur votre projet ?
- ...
- On travaille toujours mieux avec une carotte. Sur un projet libre, la carotte, c'est surtout le prestige d'avoir bien fait et d'être reconnu. Je pense que pour vos prestataires, il est préférable d'envisager une carotte... plus financière.
- Donc vous ne voulez pas participer...
- Non, sauf si vous arrêtez tout et que vous repartez de zéro avec des logiciels libres. Quand je pense à tous les projets libres que vous pourriez aider et dont vous auriez des retours constructifs, j'en suis malade.




   Monsieur Dantou se fait tout petit. Églantine le regarde et lui dit :
- Ne vous inquiétez pas, cela n'arrivera pas.
   Monsieur Lessig répond à Églantine :
- Je résume ce que vous m'avez dit. D'abord, je stoppe le projet une semaine et j'embauche des teignes patientes et diplomates pour décider si on continue le développement en cours. Si on continue, je vire le directeur de projet et une bonne partie des développeurs... et après ça, tout ira bien.
- Exactement.
- Mais comment pouvez-vous faire des réponses comme ça ?
- Parce que je suis un personnage de fiction et qu'il est beaucoup plus facile de proposer des solutions théoriques assis devant un ordinateur que de trouver des solutions pratiques dans la réalité.






Ce qu'il faut retenir :
- Euh... là, je sèche.

- Ah si... ça fait du bien de se défouler.

- Aucun directeur de projet n'a été blessé pendant l'écriture de ces épisodes.



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