Générique  —  Documents

Épisode 13 : Le débriefing


Églantine fait un débriefing avec Monsieur Lessig et le directeur du projet sur ce qui vient de se passer durant la réunion.
Elle commence par leur demander s'ils veulent vraiment avoir son point de vue.

Certains projets informatiques ont des problèmes... certains projets informatiques sont un problème.
Les épisodes 12 à 14 parlent d'un projet informatique qui est un problème.
Il est fortement conseillé de prendre tous les conseils d'Églantine avec des pincettes...



   Églantine arrive dans le bureau de Monsieur Lessig, suivie de près par Monsieur Dantou. Elle montre ostensiblement son énervement et demande à Monsieur Lessig :
- Vous voulez mon avis, ou vous voulez que je flatte votre ego ?
   Monsieur Lessig est surpris de cette entrée en matière. Il demande :
- Comment ça ?
- Je viens de passer un très mauvais moment avec vos développeurs.
- Avec la maîtrise d'œuvre, vous voulez dire...
- Effectivement, les personnes que je viens de voir n'ont rien de développeurs.
- Comment ça ?
   Églantine jette un regard noir à Monsieur Lessig. Elle lui répond :
- Votre maîtrise d'œuvre, ce sont des personnes qui ne comprennent rien à l'informatique mais savent faire des phrases sans intérêt.
- ...
- D'où je viens, tout le monde est plus ou moins développeur. Et ce que j'ai vu, ce n'en est pas.
   Monsieur Lessig sent qu'il faut changer de sujet. Il demande :
- Quel est votre état d'esprit ?
- Je ne sais pas trop si je peux vous le dire.
- Vous pouvez dire du mal des informaticiens que vous avez vus, cela ne me pose aucun problème.
   Églantine fait une pause, puis répond :
- Je n'ai pas envie de dire du mal que de ces personnes.
- Ah...
- Les informaticiens ne vous ont pas mis dans la situation qui est la vôtre, ils n'ont fait qu'en profiter... tout au plus.
- Ce n'est pas ça le problème, de profiter des autres ?
   Églantine ajoute :
- Ceux qui savent profitent de ceux qui ne savent pas, si c'est leur intérêt. En informatique, comme dans tous les autres domaines. Vous ne l'avez jamais fait ?
   Monsieur Lessig ne sait pas quoi répondre. Églantine poursuit :
- Vous avez besoin d'une personne de confiance qui saurait discuter technique.
   Monsieur Lessig hésite, puis il dit :
- Il y a vous pour le moment.
- C'est tout ?
- J'ai bien peur que oui.
- Je ne suis pas très étonnée de votre réponse quand je regarde votre système informatique.
- Je sais, mais...
   Églantine coupe Monsieur Lessig.
- Mais rien du tout. J'ai passé trois jours dans votre entreprise et je peux déjà vous donner deux noms de personnes dont l'intérêt personnel est celui de cette entreprise, et qui en savent au moins autant que moi en technique.
- Très bien. Vous pouvez me donner leurs noms ?
- Non, je sens que j'ai encore besoin d'évacuer de l'énervement.




   Monsieur Dantou essaye de répondre mais Monsieur Lessig lui fait signe de ne pas le faire. Ce dernier demande :
- Alors, par quoi on commence ?
   Églantine regarde Monsieur Dantou. Elle annonce :
- D'abord, Vous remerciez les personnes de leur présence pour ensuite leur faire des reproches et essayer de les mettre en défaut.
- C'est le protocole.
- C'est peut être le protocole avec des personnes de bonne volonté. Vous avez l'impression d'avoir affaire à des personnes de bonne volonté ?
- Euh...
- Si vous leur laissez la moindre chance de s'en tirer en faisant des phrases, elles le feront. Pas de discours, pas de familiarité avec ces gens là. Des faits et des actions.
   Pas de réponse des deux directeurs. Églantine poursuit en regardant Monsieur Lessig :
- Vous vous souvenez de la discussion que l'on a eue lorsque vous étiez sur le parcours de... enfin la discussion que l'on a eue sur les projets informatiques ? Il faudrait balayer devant votre porte avant de vous occuper de celle des autres.
- Je sais.
   Monsieur Dantou est très surpris par la réponse de Monsieur Lessig. Mais ce dernier lui fait un petit geste discret de la main pour lui montrer qu'il contrôle la situation. Églantine poursuit son explication :
- Si vous ne savez pas ce que vous voulez, même le plus compétent des informaticiens va se lasser de refaire son travail.
- Je prends note.
- Ensuite, vous envoyez de la chair à canon se faire massacrer au combat. À quoi cela sert-il de mettre des utilisateurs sans pouvoir face à des informaticiens qui ont tous les pouvoirs ?
- ...
- Chaque utilisateur veut participer et voir son problème résolu, mais cela crée de la confusion. Il est ensuite très facile de balayer cette confusion d'un revers de main pour le bien du projet.




   Monsieur Lessig sent qu'Églantine a évacué une partie de sa frustration. Il lui annonce :
- On a un projet à finir. Il faut bien qu'on avance d'une façon ou d'une autre.
- Déjà, vous partez sur de mauvaises bases. Non, vous n'avez pas un projet à finir. Vous avez un outil à développer. C'est très différent
- Comment ça ?
- Votre projet n'est pas une fin en soi. C'est juste l'étape de création et de mise en place d'un outil.
- Ah...
- Vous préférez un mauvais outil livré en temps et en heure ou un bon outil livré en retard ?
   Monsieur Lessig essaye d'ironiser :
- C'est possible d'avoir un bon outil livré en temps et en heure ?
- Je ne pense pas que cela puisse faire partie des possibilités... D'ailleurs, en quoi cela est-il si important ?
- C'est un projet très important pour l'entreprise.
- Vous voulez dire que l'entreprise ne peut pas fonctionner sans ?
- ...
- Le projet est important parce qu'il va vous faire gagner beaucoup de chiffre d'affaire, ou juste parce qu'il coûte très cher à réaliser ?
- ...
   Comme Monsieur Lessig ne sait pas quoi dire, Églantine poursuit :
- Vous ne pouvez pas savoir aujourd'hui si votre projet est important. Vous pouvez juste l'imaginer. Vous le saurez quelques mois après la mise en production de l'outil, suivant son utilisation et ce qu'il apporte à l'entreprise. Je suis sûre que vous le savez pour n'importe quel projet hors informatique. Sachez que c'est exactement la même chose... en informatique. La livraison n'est pas une fin en soi.
- Je suis d'accord. Mais chaque jour qui passe rajoute au coût du projet.
- Il faut que vous compreniez que le coût d'un projet ne s'arrête pas à la livraison. Il y aura des coûts de maintenance, de suivi, d'administration, d'utilisation, etc. Et d'après ce que j'ai entendu, il y aura même des coûts pour une deuxième version.
- Et alors ?
   Églantine annonce :
- Si vous voulez économiser de l'argent, il faut prendre en compte toutes les phases de vie de l'outil.
- Phases de vie ?
- Il y a la phase étude, la phase projet et la phase maintenance et exploitation. Il vous faut une phase projet la plus courte possible car c'est ce qui coûte le plus cher à la journée.
- Et là, on est en pleine phase projet, déduit Monsieur Lessig.
- Exactement. Mais si vous n'avez pas un bon outil à la fin de votre phase projet, vous allez faire exploser vos coûts de maintenance et d'exploitation.
- C'est grave ?
   Églantine est surprise, elle répond :
- Oui.




   M. Dantou fait remarquer :
- On doit s'occuper des dépenses d'aujourd'hui. On verra plus tard pour les dépenses de demain.
   Églantine fait une pause de deux secondes, elle regarde Monsieur Lessig et répond :
- Monsieur Dantou, vous êtes complètement à la rue. Il m'a suffit de participer à une réunion pour me rendre compte que vous vous faites balader sur toute la ligne...
   Églantine marque une pause. Personne ne dit mot. Monsieur Dantou accuse le coup et ne sait pas quoi répondre. C'est Églantine qui reprend la parole :
- Je suis désolée Monsieur Dantou. Je voulais juste vous montrer de façon brutale ce qui ne va pas, d'après moi, dans votre management de ce projet. Vous laissez passer trop de choses.
   Monsieur Dantou ne sait toujours pas quoi répondre. C'est Monsieur Lessig qui demande :
- Vous pouvez préciser ?
   Églantine demande à Monsieur Dantou :
- Votre métier, ce n'est pas gérer des projets informatiques ?
- Non.
- C'est facile à voir. Vous êtes comme un capitaine d'un paquebot qui navigue en plein brouillard sans indicateurs fiables. Vous êtes obligé de faire confiance aux différentes personnes que vous croisez pour choisir le cap à suivre.
- ...
- Le problème que j'ai vu lors de la réunion est que ces personnes de confiance ne le sont pas du tout. Si la croisière ne rencontre pas d'obstacle, il n'y aura pas de souci. Mais dès qu'il y a un obstacle, pas moyen de l'éviter.
- ...
- Si vous n'avez pas le temps ou les capacités de vérifier les indicateurs, il vous faut impérativement une assistance, de confiance, qui le fera pour vous.
   Monsieur Dantou répond :
- Mais je dois faire confiance à mes interlocuteurs...
- Quand vous êtes en affaire avec un de vos clients, vous pensez d'abord à votre chiffre d'affaire ou d'abord à la qualité du produit que vous allez lui proposer ?
- ...
- N'en demandez pas plus de vos fournisseurs. Vous ne devez pas tout surveiller mais il faut toujours être attentif. Je pense que vous le savez déjà.
- ...
- Vous êtes dans une relation commerciale, même si c'est du service. L'objectif premier de vos prestataires est de faire du chiffre. Si pour cela ils doivent vous faire plaisir, ils le feront. Si pour cela, ils doivent vous balader sans que vous vous en rendiez compte, ils le feront.
- On se fait balader ?
- Le directeur de projet que l'on a rencontré n'a pas su répondre à une seule question sans l'aide de son assistant. Mais il savait faire de belles phrases. Je trouve que c'est une bonne indication.




   Monsieur Lessig demande :
- Vous pouvez être un peu plus précise ?
- Comme je viens de vous le dire, utiliser la date de livraison pour justifier de ne pas corriger des erreurs, c'est assez malsain.
- ...
- Votre prestataire vous annonce, en face, que votre outil ne sera pas au point lors de sa livraison. C'est fort.
- J'en conviens. Mais on ne peut pas mettre en péril le projet pour une fonctionnalité.
- Ça, c'est exactement ce que veut vous faire croire votre prestataire. Et il a bien réussi son coup.
- Qu'est ce que vous voulez dire ?
- Votre prestataire a réussi à vous convaincre que vous pouvez vous passer de fonctions dont vos utilisateurs semblent avoir besoin.
   Monsieur Dantou demande :
- Vous pensez que ce serait possible de faire ce que demandent nos utilisateurs ?
- Bien sûr, c'est parce que vous ne connaissez rien à la technique informatique que vous n'arrivez pas à voir que cela est possible.
   Monsieur Dantou est très étonné. Il dit :
- Pardon ?
- Je vais continuer ma métaphore du paquebot et y placer les arguments de votre prestataire.
- ...
- Vous êtes en pleine croisière et, soudain, vous vous rendez compte que vous avez une avarie moteur. D'abord, vous ne pouvez pas réparer parce que le cahier des charges ne parle pas de réparation de moteur, et donc qu'il n'y a pas de mécanicien à bord du paquebot.
- ...
- Ensuite, comme il faut avancer de toute façon, il faut que tous les passagers continuent la traversée dans les canots de sauvetage. Ils vont arriver à bon port, mais dans quel état ?    Monsieur Dantou ne comprend pas. Il demande :
- Et cela a un rapport avec notre projet ?
- Le cahier de charges d'un projet est un cadre de développement. On ne peut pas tout changer, mais ce n'est pas une bible non plus. Ajouter ou modifier des formules de validation, ça arrive tous les jours, sur tous les projets.
- Donc, il faut que j'arrête le projet pour le... réparer.
- Si vous voulez un paquebot en une seule pièce à l'arrivée.
   Monsieur Lessig dit :
- On n'est pas sorti si on vous écoute.
- Ça dépend de l'outil que vous voulez...
- À ce propos, ça marche mieux les projets, dans votre monde... de libertés ?
- Ça ne marche pas forcément mieux. Mais il y a une chose sur laquelle on est imbattables. C'est le prix des licences d'utilisation.
- Licences d'utilisation ?, demande Monsieur Lessig.
- C'est le droit d'utiliser un programme, répond Églantine.
- Ah...
- Je n'ai pu m'empêcher de remarquer que vous ne pourrez réaliser certaines fonctionnalités à cause de ces licences qui vous coûtent cher.
- Et... ?
- Dans, dans un monde de libertés informatiques, ces coûts peuvent ne pas exister. Il suffit de prendre les blocs de programmes mis à disposition de tous et, de les assembler selon votre convenance et vos besoins.
- Ça marche ?
- Certaines entreprises en profitent grandement.




   Monsieur Dantou revient au projet. Il demande :
- Vous avez d'autres remarques ?
   Églantine sourit et répond :
- Les deux personnes qui ont parlé des problèmes de police de caractère et de logo. Elles travaillent avec vous ou contre vous ?
- ...
- Je dis ça parce que j'ai bien appris ma leçon sur les fins de réunions. Et je dois dire que ces deux questions étaient vraiment mal venues... pour vous.
   Monsieur Lessig dit :
- Je ne comprends pas.
   Églantine lui répond :
- Le prestataire du projet a refusé de prendre en compte trois problèmes fonctionnels majeurs mais il a tout de suite accepté de prendre en compte deux problèmes de détails, en fin de réunion.
- Ah...
- Comme vous dites. Et il ne s'est vraiment pas privé de faire remarquer sa mansuétude à prendre en compte les deux détails.




   Monsieur Lessig regarde Églantine et lui demande :
- Alors, vous avez un verdict ?
- Je ne veux jamais retourner dans une réunion si je ne peux pas prendre la parole.
- Je veux dire, au niveau de la suite du projet...
- Pour moi, un projet n'est jamais perdu, mais, effectivement, vous êtes mal barré.
- Comment ça ?
- D'abord, vous me demandez mon avis. Ce n'est pas un très bon signe.
   Monsieur Lessig sourit alors que Monsieur Dantou est gêné. Églantine continue :
- Mon verdict est qu'il faut, d'une façon ou d'une autre que vous repreniez le contrôle total du projet. Une assistance à maîtrise d'ouvrage bien teigneuse devrait faire l'affaire.
   Églantine fait une pause et demande :
- L'entreprise perdra-t-elle beaucoup de chiffre d'affaire si le projet n'est pas fini à temps ?
- Je ne pense pas, répond Monsieur Lessig.
- Donc, cette date de livraison, c'est plus une question de fierté de chef qu'une question économique...
- ...
- Ensuite, il faut cesser de discuter des détails si le fond n'est pas au point.
   Monsieur Lessig ironise :
- On mettra le logo à la fin, c'est ça ?
- Ce n'est pas obligé mais c'est mieux. J'ai aussi remarqué que le développement de cette première version de l'outil sert essentiellement à préparer le devis pour une deuxième version de celui-ci. On est loin de la politique des devis gratuits.
   Monsieur Lessig et Monsieur Dantou se regardent en coin, circonspects. Monsieur Lessig demande à Églantine :
- Vous auriez des conseils pratiques pour nous ?
- Vous voulez que je vous donne des conseils pratiques pour la suite de votre projet ?
- Oui.
- Est-ce que l'usage d'une batte de baseball est envisageable ?
- Non.
- Bon, il faut que je trouve d'autres conseils...




Ce qu'il faut retenir :
- Un projet informatique n'est pas une fin en soi. C'est la création d'un outil qui doit servir des utilisateurs, directement ou indirectement.

- La réussite d'un projet ne se mesure pas le jour de livraison mais quelques mois après, par une enquête de satisfaction utilisateurs.

- Les coûts de maintenance et d'exploitation peuvent être énormes. Mais comme ils ne font pas partie du budget du responsable de projet, ils passent souvent inaperçus... jusqu'au jour où ils apparaissent.



   —   Validation XHTML 1.0   —   Validation CSS 2.1