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Épisode 22 : La remise du rapport


Ça y est, c'est la fin.



   Églantine vient de finir la rédaction de son rapport. Elle a rendez-vous avec Monsieur Lessig dans quelques minutes. Sa mission arrive à son terme.
   Elle se demande s'il lui a préparé une nouvelle réunion avec la direction générale pour conclure sa mission. Si tel est le cas, elle est prête à les affronter. Elle a beaucoup appris au cours de ces deux semaines.
   Elle imprime son rapport et monte à l'étage de la direction.
   Quand Églantine arrive devant le bureau de Monsieur Lessig, l'assistante lui annonce :
- Vous pouvez entrer. Vous êtes attendue.
   Un peu surprise, elle entre. Monsieur Lessig est seul. Il commence :
- Asseyez-vous, on va discuter un peu de votre mission.
- On ne sera que tous les deux ?
- Oui. Il y a un problème ?
- Pas vraiment, j'avais prévu tout un discours pour vos directeurs...
   Monsieur Lessig sourit et répond :
- Vous avez déjà eu votre quart d'heure de gloire. Vous devrez vous contenter de ma personne pour votre discours.
- ...




- Tout d'abord, j'aimerais avoir votre impression sur l'entreprise, en général.
- L'entreprise en général, ou votre entreprise en particulier ?
- Un peu des deux.
- D'abord, ces deux semaines m'ont permis de réaliser à quel point les relations dans une entreprise ressemblent aux relations dans une ville.
- Comment ça ?
- Dans une petite entreprise, comme dans un village, tout le monde connaît tout le monde. Ce qui permet des relations plus ouvertes et plus franches. Une grande entreprise ressemble à une grande ville où personne ne connaît personne et où les structures de communication sont rigides et fermées.
- C'est un peu extrême comme impression.
- Comme toute généralité, il ne faut pas prendre ça comme une règle fiable à 100 %. Mais plutôt comme une tendance.
- ...
- Vous connaissez combien de personnes dans cette entreprise de dix mille personnes ?
- Moins de dix mille, c'est sûr.
- Je ne suis là que depuis quelques jours et je pense connaître plus de personnes que vous.
- ...
   Après une courte pause, Églantine poursuit :
- J'ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes. Celles qui n'ont pas de problème à briser les conventions de communication.
- Quoi ?
- Dans votre entreprise, même si ce n'est pas une règle écrite, on a l'impression que chaque personne ne peut discuter qu'avec son responsable et son voisin. Et même pas toujours avec son voisin.
- C'est parce que c'est une entreprise et que l'objectif est le travail, pas de discuter.
- Monsieur Lessig, nous vivons dans une société d'informations. Il est impératif de les partager, de les diffuser pour être vraiment efficace. Certaines discussions n'ont peut être pas lieu d'être dans une entreprise. D'autres vous feraient gagner beaucoup de temps et d'argent.
- Ah..
- Voilà, c'est ce que j'ai retenu en premier de ces deux semaines. Quelle que soit la taille de l'entreprise, il faut discuter avec un maximum de personnes, appartenant à un maximum de secteurs d'activité pour avoir un rendement optimal dans sa mission.




- C'est étrange pour vous du fait de votre position. Vous avez une vue d'ensemble de l'entreprise. Si vous voulez une information, vous demandez et vous l'obtiendrez. Pour les petites gens comme moi, il faut aller chercher l'information, souvent par des canaux de communication non officiels.
- J'ai eu quelques remontées à ce sujet.
- Ah bon ?
- Oui, il semble que vous ayez mis dans la tête de quelques utilisateurs des idées... nouvelles.
   Églantine sourit et demande :
- Ce n'est pas pour ça que vous m'avez fait venir dans votre entreprise ?
- À la base oui. J'aurais préféré avoir toutes vos idées pour pouvoir les mettre en œuvre à mon rythme.
- Et ?
- Et maintenant que vous avez mis dans la tête de salariés l'idée selon laquelle ils doivent être maîtres de leurs outils, ils vont être plus attentifs aux outils qu'on va leur donner.
- Je ne vais pas m'excuser pour ça. Je vous ai montré une voie vers une plus grande efficacité. Plus tôt vous allez l'emprunter, mieux ce sera. Et ça ne vous coûtera pas plus cher.
- Je vous avais dit que je voulais rester maître de mon timing.
- Vous êtes toujours maître de votre timing. C'est vous le boss. J'ai juste pris soin de mettre en place des aide-mémoire à votre intention.




- Vous avez l'air de bien vous être amusée pendant ces deux semaines.
- C'est vrai que je me suis..., que j'ai beaucoup travaillé..., très sérieusement.
   Monsieur Lessig sourit et demande :
- Ça s'est passé comment avec les ouinedoziens ?
- J'ai fait un paragraphe sur eux dans mon rapport.
- Mais encore ?
- J'ai eu beaucoup plus d'inquiétudes que je n'aurais dû. Ils ne sont pas méchants, pas tous en tout cas. Et ils m'ont permis d'apprendre quelque chose de fondamental...
- Oui ?
- La transmission du savoir sera à la base du changement.
- Attention, le savoir, c'est le pouvoir.
- Je ne vais pas diffuser mes secrets de fabrication spécifiques, mais je veux absolument diffuser les bases.
- Je ne comprends pas.
- Presque tout le monde sait lire et écrire. Ce n'est pas pour autant que je vais diffuser mes données personnelles. Tout le monde devra savoir utiliser et comprendre l'outil informatique. Chacun aura ensuite ses petits trucs, ses recettes pour être plus ou moins efficace.
   Monsieur Lessig hésite deux secondes et dit :
- Ce n'est pas demain que tout le monde saura utiliser l'outil informatique.
- Il suffit juste de trouver la bonne méthode d'apprentissage de ce savoir.
- Vous cherchez une méthode d'apprentissage de l'informatique ?
- Oui.
- Vous l'avez trouvée ?
- Pas encore, mais je me rapproche.
- Bon courage.




   Après un court silence, Monsieur Lessig demande :
- Vous m'avez apporté votre rapport ?
- Oui, le voilà.
- Il a l'air bien épais. Vous avez déjà fait des rapports d'audit avant celui là ?
- J'ai déjà fait des exposés, à l'école. Mais jamais des rapports d'audit.
- Vous avez l'air d'avoir bien travaillé.
- ...
- Enfin, vous avez l'air d'avoir beaucoup travaillé.
- Ce n'est pas mon impression, mais le client est roi, à ce qu'il paraît. Donc je veux bien vous croire. J'ai beaucoup travaillé.
   Monsieur Lessig sourit à Églantine et lui demande :
- Qu'est-ce que vous voulez dire ?
- Disons que lorsque j'ai accepté cette mission, pour cette somme d'argent, je pensais produire un travail un peu plus conséquent. Mais au fur et à mesure des jours, je me suis laissé envahir par l'ambiance générale. Du coup, le résultat n'est pas à la hauteur de mes premiers espoirs.
- Vous êtes en train de me dire que je me suis fait arnaquer.
- Non. Je suis en train de vous dire que si vous aviez suivi ce projet de plus près, vous auriez un rapport plus complet et plus pertinent.
- ...
- La fin de la mission ne doit pas correspondre avec la remise de la première version du rapport. Qu'est-ce qui se passe si vous voulez des précisions sur tel ou tel point du rapport ?
- ...
- Vous repassez à la caisse.
- Vous êtes vraiment bizarre.
- Je ne suis pas bizarre. Je ne suis pas ici pour travailler, pour faire carrière mais pour m'amuser. Donc aucune complaisance, aucun compromis avec les conventions établies. Heureusement pour vous, j'ai l'habitude du travail pour le simple plaisir de bien faire.
- Comment ça ?
- Je vis dans une méritocratie.
- Une méritocratie, qu'est-ce que ça veut dire ?
- Dans le monde des logiciels libres, on gagne pas ou peu d'argent mais de la reconnaissance. Dans ce schéma, seul le résultat du travail produit a une importance.




- L'argent, c'est important.
- Je trouve que c'est plus un problème qu'autre chose dans l'exercice d'un travail. Bien sûr, il en faut pour vivre, mais cela devient rapidement un handicap.
- Ah bon ?
- Par exemple, pour votre audit, quand je vois la taille de votre entreprise, j'aurais pu vous faire payer vingt mille ou trente mille euros. Comme j'aurais pu vous faire payer deux mille ou trois mille euros, ce dont j'ai besoin.
- ...
- Ou pire, j'aurais pu vous faire payer cinq mille euros pour une première version en vous demandant de payer un peu plus pour approfondir l'étude. Et au final, vous auriez payé très cher pour avoir de nombreuses versions. Et au lieu d'avoir un résultat rapide, vous auriez dû attendre des mois pour en obtenir un.
- Vous n'aimez pas l'argent.
- Si vous me donnez de l'argent, je vais le prendre. Mais il n'intervient pas dans mon travail. Il intervient avant, quand on décide du montant, et après, quand je reçois mon chèque. Entre les deux, je n'y pense pas. Et c'est bien mieux, pour tout le monde.
- Vous allez faire quoi de l'argent de cette mission ?
- Je vais acheter un ordinateur.
- Quoi ?
- Aujourd'hui, presque tous les ordinateurs sont vendus de façon illégale. Je compte en acheter un et faire un procès au fabriquant pour faire valoir mes droits de consommateur.
- Vous êtes vraiment bizarre.
- Peut-être, mais le jour où vous pourrez choisir le système que vous voulez à l'achat d'un ordinateur, vous pourrez me dire merci..., et à tous ceux qui se battent comme moi aujourd'hui.




   Après une courte pause, Églantine demande :
- Le rapport, vous allez le faire lire à beaucoup de monde ?
- Cela dépendra de son contenu.
- Comment ça ?
- J'ai l'esprit ouvert. Mais ce n'est pas le cas de tout le monde, y compris dans cette entreprise. Il y a des idées que je ne peux pas véhiculer si je veux rester crédible.
- Comme quoi ?
- Comme, "l'argent n'est pas important", par exemple.
- Pourtant, vous m'avez laissé discuter avec vos directeurs.
- Cela n'a rien à voir. C'était une discussion ouverte qu'on a presque tous oubliée, pas un document d'audit. Ce rapport, si je le fais rentrer dans les données d'entreprise, il y sera encore dans un an, dans dix ans. Je pense que vous comprenez ce qu'est la pérennité d'une information.
- J'espère pour nous que j'ai été raisonnable dans ma rédaction.
- Je verrai ça dans les prochains jours.
   Monsieur Lessig marque une pause et demande :
- Qu'est-ce que vous allez faire demain ?
   Églantine est très surprise par la question. Elle se sentait bien dans cette entreprise. Elle réunit toute sa fierté et arrive à répondre :
- Je vais reprendre mes interventions à domicile. Vous n'imaginez pas le nombre de personnes qui ont des problèmes d'ordinateur.
   Monsieur Lessig sourit puis dit :
- Je vous tiens au courant quand j'ai fini la lecture de votre rapport.



Les bonus de la saison 1 :
L'entretien d'Églantine.
Des scènes coupées au montage.
Le rapport d'audit.




Ce qu'il faut retenir :
- Toute mission a une fin.
Toute fin est un renouveau.
Et blablabla, et blablabla...
La suite, dans un prochain épisode.



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