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Épisode HS3 : Hadopinambour


La mise en application de la loi HADOPI ne cesse d'être repoussée.
C'est vraiment à se demander pourquoi...

L'outil informatique prend de plus en plus d'importance dans nos vies.
Les échanges d'informations aussi, pour tous types d'informations.

Toute approximation ou exagération est voulue et assumée.
Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ne serait qu'une pure coïncidence...



   Monsieur Lessig invite Églantine chez lui. Il a besoin de parler informatique. Il commence :
- Bonjour, comment allez-vous ?
- Bien. Que me vaut l'honneur ?
- Je viens de lire un article sur la nouvelle loi de protection des artistes.
- Oui ?
- Et il y a quelque chose que me fait un peu peur...
- Une seule chose ?
- Disons qu'il y a une chose qui me fait plus peur que les autres.
- Et de quoi s'agit-il ?
- Du mouchard qui va surveiller ce que je fais avec mon ordinateur.
- Ah.
- Ah quoi ?
- N'ayez pas peur, ce n'est pas un mouchard, c'est juste un outil de supervision. Et il ne va pas surveiller tout ce que vous faites, il va juste superviser toutes vos communications quand vous utilisez Internet.
   Monsieur Lessig ne sait pas trop quoi dire. Il finit par répondre :
- Vous ne trouvez pas ça dangereux ?
   Églantine lui fait un sourire en coin et répond :
- Monsieur Lessig, l'ironie et les sarcasmes, ce n'est pas votre fort...
- Quoi ?
- Évidemment que c'est dangereux. C'est même incroyable que ça ne fasse pas plus de bruit que cela.
- C'est vrai ça, pourquoi ça ne fait pas plus de bruit ?
- Je pense que c'est lié au fait que c'est une menace abstraite aujourd'hui. Personne ne se sent vraiment concerné. L'outil en lui-même n'existe même pas encore. Tout le monde se dit qu'il sera bien temps de s'en occuper.
- Et il sera trop tard...


   Églantine marque une pause et répond :
- Ça, je ne crois pas.
- Comment ça ?
- Il y a beaucoup plus de chances que cette mesure, et même la loi qui l'accompagne, soient annulées.
- ...
- Tant que la menace est abstraite, ce ne sont que quelques dirigeants qui se font bien voir de leurs amis. Mais dès qu'il va s'agir de sanctionner, cela ne sera pas la même limonade.
- Je ne vous suis pas...
- Moi, j'attends avec impatience l'envoi des premiers messages d'avertissement.
- Quels messages ?
- Quoi, vous ne savez pas le pourquoi de la mise en place de ce programme espion ?
- Pas vraiment.
- Voilà, en deux mots. Depuis l'invention du CD au début des années quatre-vingt, les œuvres culturelles ont eu tendance à se numériser. Cela a entraîné une très forte baisse des coûts de production, de diffusion, etc. Dans un premier temps cela a surtout bénéficié à l'industrie et lui a permis de construire des empires financiers. Maintenant, cette numérisation profite aussi aux citoyens. Aujourd'hui, tout le monde peut partager des œuvres culturelles par Internet. Le problème, c'est que cela semble nuire aux empires financiers et à leurs revenus. Donc ils font pression sur les politiques pour s'assurer d'être les seuls à profiter de la numérisation.
   Monsieur Lessig est perplexe. Il demande :
- Et ça marche ?
- Disons qu'ils arrivent à faire pression sur les politiques. Mais qu'ils n'arrivent à rien avec les citoyens.
- Comment ça ?
- La loi qui propose l'installation d'un mouchard n'est pas la première. Toutes les autres se sont cassé les dents sur la réalité du citoyen.
- Quelle réalité ?
- Les citoyens ont aujourd'hui les moyens techniques de consommer des biens culturels au-delà de leurs moyens financiers. Ils ne vont pas abandonner cette idée pour engraisser des financiers, même s'ils se camouflent derrière des artistes.
- Donc, il n'y aura pas de mouchard ?
- Je n'en sais rien. Cela me semble très peu probable. En fait, on le saura vraiment le jour de la mise en application de la loi.
- Qu'est-ce qui va se passer ?
   Églantine marque une pause et répond :
- La loi prévoit qu'une personne qui se fait attraper à partager des œuvres protégées par copyright va recevoir un message d'avertissement avec une possible coupure de connexion à Internet comme sanction.
- Et ?
- Vous imaginez une mère de famille qui reçoit ce genre de message parce que ses enfants téléchargent de la musique sur Internet ?
- C'est le rôle des parents de surveiller ce que font leurs enfants.
- L'immense majorité des parents ont autant de connaissances que vous de l'outil informatique. Vous pensez que des parents qui n'arrivent pas à empêcher leurs enfants de consommer des stupéfiants (je rappelle que c'est aussi illégal. Si, si, ...) vont arriver à les empêcher de télécharger de la musique.
- ...
- Imaginez maintenant quelques milliers de mères de famille qui reçoivent ce message en même temps.
- Ah... oui.
- Exactement, ça, c'est la réalité des citoyens. Et c'est cette réalité qui a eu raison de toutes les lois précédentes.
- Donc, qu'est-ce que je fais ?
- Attendez la mise en application de la loi. Vous verrez que vous n'êtes pas seul. Vous n'êtes vraiment pas seul...


   Monsieur Lessig hésite, puis demande :
- Vous n'êtes pas inquiète ?
- Pas plus que ça. Je fais confiance au peuple qui, aux dernières nouvelles, est souverain dans ce pays.
- Je trouve qu'il n'agit pas beaucoup.
- Personne n'agit dans ce pays. Tout le monde réagit. Et c'est exactement ce qui va se passer. Il faut juste attendre un peu.
- Vous n'avez même pas peur de recevoir une lettre d'avertissement ?
- Pas vraiment. Il n'y aucun moyen technique fiable pour surveiller Internet. Et heureusement. Tout ce qui pourra être fait est d'attraper quelques personnes parmi les millions qui sont hors-la-loi.
- Ce n'est pas rigolo si vous faites partie de ces personnes.
- Il y a toujours un risque.
- Et vous allez le prendre ?
- Comment ça ?
- Vous n'allez pas arrêter d'échanger des œuvres illégalement ?
- Il y a peu de chance.
- Ah...
   Églantine marque une pause et demande :
- Est-ce que ça vous est déjà arrivé d'acheter un CD et d'en être extrêmement déçu ?
- Oui.
- Qu'est-ce que vous faites ?
- Rien.
- Voilà. Eh bien, moi, qui n'ai pas les mêmes revenus que vous, je suis bien ennuyée car je ne peux pas acheter tout ce que je veux. Avec ces échanges, je peux tester la qualité de l'œuvre que je veux acheter. Les produits bâclés annoncés à grand renfort de publicité, je ne risque plus d'y perdre de l'argent.
- Ah...
- Et je pense que je ne suis pas la seule dans mon cas. Il suffit d'essayer ces échanges pour que cela devienne une évidence de consommateur. Après, c'est vrai que cela met en péril des intérêts économiques puissants donc il y a lutte et comme dans chaque lutte, il y a des coups échangés. L'issue est inévitable, seule la durée pour y arriver n'est pas encore connue.
- L'issue ?
- Les citoyens vont triompher.
- Vous êtes bien optimiste...
- Je le suis car ils ne peuvent pas attraper tout le monde, et leur mode opératoire est dépassé au moment de sa mise en application. Il faut, à nos dirigeants, des années pour mettre en place leurs outils. Il ne faut que quelques semaines voire quelques jours pour les contourner. Le calcul est vite fait.
- ...
   Courte pause, puis Églantine poursuit :
- Comme les autorités ont du retard sur les technologies, elles attraperont les personnes qui utilisent des outils vieux de quelques années. Certainement pas les pirates qui font commerce de ces échanges. Il est plus facile d'attraper un toxicomane évanoui dans un caniveau qu'un revendeur bien planqué chez lui. Ça fait de belles statistiques pour les médias mais ça n'a jamais résolu le problème. Et si ça n'a pas marché pour la toxicomanie, cela ne marchera probablement pas pour un crime encore plus odieux, le téléchargement d'œuvres sous copyright.


   Monsieur Lessig décide de changer de sujet :
- Vous pensez aux artistes dans cette histoire ?
- De quels artistes parlez-vous ?
- Il existe plusieurs types d'artistes ?
- Pour moi, il n'existe qu'un type d'artistes ; mais certains financiers-rentiers ont réussi à se faire cataloguer comme artistes, alors ça peut prêter à confusion.
- Comment ça ?
- Pour moi, la différence entre un artiste et un financier-rentier qui vend de la culture, c'est leur priorité de base. Est-il plus important de diffuser une œuvre, ou est-il plus important de gagner de l'argent avec une œuvre ?
- ...
- Depuis quand un artiste s'intéresse-t-il plus à ses revenus qu'à ses œuvres ? Depuis quand un artiste doit-il être professionnel ?
- ...
- Aujourd'hui, il y a beaucoup, beaucoup plus d'artistes amateurs que professionnels. Aucune des lois qui ont été mises en place ne les prend en considération.
   Monsieur Lessig marque sa surprise. Il demande :
- Vous voulez aussi protéger les artistes amateurs ?
- Ce serait quand même la moindre des choses.
- Si ça ne marche déjà pas avec les artistes professionnels, cela ne risque pas de fonctionner avec tous les artistes.
- Ça ne marche pas parce que la protection voulue est mauvaise par nature. Il suffirait de choisir une protection des artistes qui puisse être appliquée à tous.
- Comment ?
- Déjà, il faudrait choisir une protection qui ne se fasse pas contre les clients mais juste contre les concurrents. Vous savez que les lois sur le droit d'auteur n'ont jamais été créées pour défendre les artistes contre leurs clients mais pour les défendre contre les producteurs ?
- Non.
- C'était à l'époque où l'objectif premier était de diffuser des œuvres. Et dans l'hypothèse où cette œuvre permettait de gagner de l'argent, le droit d'auteur garantissait au créateur de ne pas être spolié de ses revenus.
- Ah...
- Oui, les temps ont bien changé. Aujourd'hui, on ne sait plus vraiment qui protège qui contre qui. Mais on sait qui prend le plus gros pourcentage sur les revenus.
   Monsieur Lessig demande :
- Les artistes ?
- Presque. Ce sont les intermédiaires qui gagnent le plus, et de loin. D'abord, il y a l'État qui prend vingt pour cent, ou cinq pour cent dans le cas des livres. Ensuite, il y a les intermédiaires, vendeurs, producteurs, financiers et autres, qui prennent entre soixante et soixante-dix pour cent. Il reste ensuite dix à vingt pour cent pour les artistes.
- Ça ne fait pas une grosse part, effectivement.
- Mais comme les artistes qui gagnent le plus sont ceux qui sont les plus visibles, c'est un système qui passe très bien. Chaque artiste espère un jour être celui qui va gagner le plus d'argent. Ou comment transformer le marché de l'art en loterie géante...
- ...
- Tout est une question de sélection. Beaucoup d'artistes au départ, une poignée seulement à l'arrivée.
- Comment ça ?
- Il y a eu, il y a et il y aura toujours plus de personnes qui veulent vivre de leur art que de places disponibles. C'est une simple question arithmétique.
- Quoi ?
   Églantine sourit. Elle répond :
- Il suffit de regarder le chiffre d'affaire global, de regarder le nombre de candidats pour conclure assez rapidement qu'il n'y a pas de place pour tout le monde.
- Partout il y a de la sélection...
- Oui, mais ici, la sélection est beaucoup plus difficile. Il y a vraiment beaucoup de monde pour chaque place et surtout la sélection est complètement subjective. Il est préférable d'être au bon endroit au bon moment que d'avoir du talent.
   Monsieur Lessig essaye de recadrer la discussion :
- C'est quoi le rapport avec le mouchard qu'on me propose d'installer dans mon ordinateur ?


- Le rapport est que cette sélection a été effectuée par les maisons de disques, les maisons de production jusqu'à présent.
- Et... ?
- Et ils sont en train de perdre ce pouvoir de sélection.
- Comment ?
- Il y avait des barrières techniques pour la création et la diffusion d'œuvres. Il fallait des moyens techniques et financiers que seuls des entreprises pouvaient fournir. Seulement, avec l'avènement de l'outil informatique pour la création et l'outil Internet pour la diffusion, ces barrières sont en train de voler en éclats.
- Ah...
- Comme vous dites. Ah. Aujourd'hui les maisons de disques et consorts n'ont pour eux qu'une visibilité plus forte grâce à leurs moyens financiers et à leurs relations. Mais cela diminue aussi, en même temps que la montée d'Internet.
- Pourtant on n'entend parler que de téléchargements illégaux...
- Ils ont une bien plus grande visibilité auprès des médias et du grand public. Mais je peux vous dire que la quantité de musique échangée légalement, comme les logiciels, est en constante augmentation.
- Les fameux artistes qui préfèrent diffuser leurs œuvres que gagner de l'argent.
- Exactement. Attention, cela ne veut pas dire qu'ils vont refuser de l'argent. La sélection ne se fera plus par des entités commerciales, mais par le public qui décidera de donner son argent à tel ou tel artiste sans obligation aucune.
- Il y a des personnes qui donnent de l'argent sans y être obligées ?
- Bien sûr. Et je trouve que c'est beaucoup plus valorisant pour un artiste de gagner de l'argent de cette façon. Au moins, il sait pourquoi il est payé.
- C'est le nouveau monde...
   Églantine fait la moue. Elle reprend :
- C'est le monde de l'information. Il y en a tellement qu'elle n'a plus de valeur intrinsèque. Il lui faut absolument de la valeur ajoutée pour être vendue. C'est une chose que les maisons de disques n'ont toujours pas comprise. Elles ne vendent que le droit d'accéder à l'information. Ce qui est une aberration aujourd'hui.
- Et alors ?
- Les multinationales productrices n'ont plus aucune raison d'être... à plusieurs niveaux. Mais elles ne sont pas prêtes à admettre cet état de fait. Une lutte à mort s'est engagée et elles ne lâcheront jamais le morceau.
- ...
- C'est comme ça qu'on arrive à proposer l'installation d'un mouchard dans chaque ordinateur français.


   Églantine marque une pause puis poursuit :
- Je ne comprends vraiment pas tous les artistes qui continuent à travailler avec ces entreprises.
- Moi, je les comprends très bien.
- Ah bon...
- Il y a plusieurs raisons à mon avis. D'abord, comme moi, avec les logiciels libres, je ne suis pas persuadé qu'ils connaissent de solution alternative.
- ...
- J'utilisais mon ordinateur sans avoir la moindre idée de l'existence des logiciels libres. Ces artistes font des œuvres sans avoir la moindre idée de comment les produire ou les diffuser autrement.
- Ah oui... Diffuser l'information...
- Exactement. Et il y a un autre argument plus pragmatique. Compte tenu du fait qu'il n'y a pas de place pour tout le monde pour être professionnel, je doute qu'un artiste qui a réussi à passer la sélection grâce à ces entreprises se remette au même niveau que les autres.
- Comment ça ?
- Ils ont une situation plus ou moins confortable financièrement aujourd'hui. Ils ne vont pas risquer de la perdre.
- Mais ça ne va pas durer...
- Ça, c'est votre opinion, vos prévisions. Il sera toujours temps pour eux de changer. Comme pour les logiciels libres, vous ne pouvez imposer le changement, vous ne pouvez qu'informer. Après, chacun est libre de ses choix et de ses positions.
- Mais...
- Vous voulez dire que si vous étiez à la place d'un artiste qui a un revenu confortable dans le système actuel, vous remettriez tout ça en cause parce que ce serait mieux pour tout le monde.
- ...
- C'est juste du pragmatisme. Pour qu'un système en remplace un autre, il doit d'abord montrer sa plus grande efficacité. Et dans votre cas, il doit même d'abord se montrer. Le monde ne s'est pas fait en un jour.


   Églantine décide de rebondir, elle ajoute :
- Cela ne devrait pas être très long. Les maisons de disques nous donnent tous les éléments pour les mettre à terre.
- Ah bon ?
- Elles sont en train de monter les artistes contre leurs clients.
- Comment ça ?
- À forcer de clamer partout que toutes les personnes qui échangent de la musique sans l'avoir payée sont des pirates, des voleurs, il se pourrait que certaines personnes en prennent ombrage, un jour.
- Et qu'est-ce que pourraient faire ces personnes ?
- D'abord, elles pourraient complètement arrêter d'acheter des œuvres qui ne peuvent pas être échangées librement.
- Ce n'est pas déjà le cas ?
- Bien sûr que non. Le chiffre d'affaire des produits dits culturels n'a pas beaucoup varié dans sa globalité. Les maisons de disques nous abreuvent de chiffres qui démontrent un chiffre d'affaire manquant mais ça ne veut rien dire.
- Chiffre d'affaire manquant ?
- Ils prennent le nombre de téléchargements total qu'ils calculent, on ne sait comment puis ils le multiplie par leur prix de vente. Et ils arrivent à un montant qu'ils estiment manquant à leur chiffre d'affaire.
- Et... ?
- Depuis quand les personnes qui téléchargent de la musique sur Internet ont-elles tellement d'argent qu'elles placent en sicav, actions, ou lingots d'or ce qu'elles ne dépensent pas en achat de musique ?
- Je ne comprends pas.
- Les personnes qui téléchargent sur Internet consomment au-delà de leurs moyens financiers. Avant Internet, il existait une grande inégalité dans l'accès à la culture en fonction du niveau des revenus. Avec Internet, ces inégalités sont en train de disparaître. Mais c'est aussi en train de redessiner les priorités d'achat des consommateurs.
- ...
   Petite pause. Églantine poursuit :
- Qui va acheter un CD avant de payer son abonnement de téléphone portable ? Qui va acheter un CD avant un jeu vidéo ? Qui va acheter un CD quand les patrons de maisons de disques osent proposer de la prison pour un internaute qui écouterait de la musique sans l'avoir payée au préalable ?
- ...
- Les industries les plus virulentes face aux échanges entre consommateurs seront celles qui vont subir le plus les foudres... des consommateurs. On ne peut pas qualifier une personne de voleur pour ensuite lui demander d'acheter ses produits. Aucun produit culturel n'est à ce point indispensable.

NdA : C'est sans compter sur la capacité du fan moyen à faire plus confiance à ce qu'on lui dit qu'à ce qu'il pourrait penser.

   Églantine marque une pause et poursuit :
- Aujourd'hui, une personne qui veut consommer une œuvre culturelle numérique a les choix suivants. D'abord, ne pas la consommer. Ensuite la télécharger sur Internet. Ensuite la consommer par l'intermédiaire d'un média-relais comme la télévision, la radio. Et enfin, l'acheter.
- Il y a une partie qui n'est pas vraiment légale...
- Je sais. Mais ce schéma existe et devient naturel pour de plus en plus de personnes. Aucune loi répressive ne pourra changer cet état de fait. Il ne sert plus à rien d'essayer de vendre le droit d'accéder à une œuvre. Il faut vendre de la qualité, de la personnalisation, de l'empathie pour l'artiste, ... ou des expériences culturelles impossibles à numériser, comme des concerts.
- Il y a des solutions de remplacement, visiblement.
- Il en existe beaucoup. Mais elles sont surtout profitables aux artistes... et aux consommateurs. Donc elles ne risquent pas d'être vraiment mises en avant par les entreprises qui contrôlent tout le système.
   Monsieur Lessig est surpris ; il demande :
- Ce sont les entreprises qui contrôlent le système ?
- Comme je vous l'ai dit, la répartition des revenus est très largement à l'avantage des intermédiaires. Combien d'artistes travaillant pour une grande maison de disques gagnent plus d'argent que le directeur de la communication, ou que le directeur juridique, ou que le directeur commercial, ou que le directeur général, etc. ?
- ...
- Ces entreprises avaient un monopole de sélection, de production et de diffusion. Elles en ont largement profité sur la répartition des pouvoirs et des revenus.
- Les dirigeants ont toujours gagné plus que les exécutants.
- C'est sûr, mais dans le cas présent, ce ne sont pas vraiment des dirigeants. Ils ne sont, en tout cas, ils ne devraient être que des intermédiaires entre les artistes et leurs clients.
- Chacun essaye de tirer la couverture à lui.
- Jusqu'au jour où ça se voit vraiment, et où il y a un violent coup de pied en retour.


   Monsieur Lessig hésite. Il demande :
- Vous pensez vraiment qu'il va y avoir un retour de bâton ?
- C'est obligé. Les abus sont tellement manifestes et systématiques qu'il ne pourra y avoir d'évolution en douceur.
- Je voulais dire : vous pensez vraiment qu'ils ont quelque chose à craindre ?
- La situation actuelle est excellente pour la population, et donc pour la société, et elle met en péril les intérêts particuliers des maisons de disques en les mettant face à face. Mais il n'y a pas que les maisons de disques qui sont puissantes : les diffuseurs de contenus le sont tout autant. Et ils se battent tous pour la même chose, avoir des clients.
- Je ne comprends pas.
- Les consommateurs vont pouvoir choisir entre les maisons de disques et les diffuseurs. Et, à mon avis, ils choisiront ceux qui leur offrent le plus, pour peu qu'ils soient bien informés.
- Et les artistes ?
- Personne ne semble vraiment faire attention à eux. Il faut dire qu'eux-mêmes ne semblent pas vraiment savoir quoi faire et, ou comment le faire.
- ...
- Tant que les artistes utiliseront les maisons de disques comme paravent, ces dernières continueront d'avancer sans avenir et sans autre objectif que de sauver leurs revenus financiers. Ces entreprises sont mortes et personne n'ose les enterrer pour éviter leurs derniers soubresauts.
- ...
- Ces soubresauts, comme le fait de devoir installer un mouchard sur chaque ordinateur, sont malsains mais pas inutiles. Chacune de leurs actions ou plaintes leur rapportent de l'argent.


   Monsieur Lessig marque une pause, puis demande :
- Vous voyez des liens avec votre monde informatique ?
- Pas qu'avec mon monde informatique en particulier, mais avec mon monde libre en général. Le monde du libre, pour les logiciels ou la culture, a beaucoup à apprendre aux artistes non libres. Surtout dans la façon de présenter leurs œuvres et d'en retirer un bénéfice, alors qu'aucun coût n'est imposé au client.
- Vous êtes sûre qu'ils sont prêts à vous écouter ?
- Pas tous. Mais il y aura probablement beaucoup plus d'artistes à l'avenir, et même plus d'artistes professionnels. Il y aura moins d'artistes milliardaires, cela paraît une évidence. Je pense que ceux-là ne sont pas prêts à nous écouter. Mais je pense que la culture arrivera à se passer d'eux. Si un artiste décide de ne plus créer parce que ça ne lui rapporte pas assez d'argent, je dis bon vent, et bon débarras.
- C'est important d'avoir des icônes reconnues de tous.
- Depuis quand ces icônes doivent être milliardaires ?
- ...
- Le monde la culture ressemblera de plus en plus au monde du sport. Des millions de pratiquants amateurs et quelques privilégiés professionnels, qui seront des références, très riches ou moins riches. Il est bien sûr plus difficile de quantifier et d'évaluer la qualité d'un artiste, mais il est plus facile de créer un produit, une œuvre d'artiste. Les filtres de création et de diffusion sont tombés. On va être submergés de créations artistiques. Et personne ne pourra rien y changer...
- Et...
- Et, il va falloir qu'on arrête notre discussion qui est déjà assez longue.
- Quoi ?
- Si on continue, je vais être obligée de vous facturer en heures supplémentaires.
- Donc, c'est tout pour aujourd'hui ?
- Oui.
- On aura l'occasion d'en reparler ?
- Probablement...
- Et pour le mouchard ?
- Quoi le mouchard ?
- Je fais quoi ?
- Ce que vous voulez mais ne venez jamais me demander de vous aider à l'installer. Jamais.




En plus... et en vrac :
- Il y a œuvre culturelle et œuvre culturelle... C'est amusant cette capacité à se placer sous la coupe du commerce pour amasser des bénéfices, et sous la coupe de la culture pour amasser des subventions.

- Il y eu, il y a et il y aura toujours plus d'artistes que d'artistes professionnels. La sélection est souvent subjective, ce qui la rend injuste. Mais c'est comme ça.

- Lorsque la loi HADOPI sera mise en application, on saura, qui, du mouchard ou du citoyen, est le plus important dans ce pays. Et c'est sans compter sur les lois en préparation...

- Le droit d'auteur doit reprendre sa fonction de protection des artistes contre les producteurs, et pas contre leurs "clients" qui consomment et diffusent leurs œuvres.

- Les maisons de production et les maisons d'édition vont suivre, tôt ou tard. Elles suivront le même chemin ou sauront s'adapter au monde actuel pour accompagner le changement. Elles ne peuvent plus servir de filtre comme "avant", mais elles ont leur rôle à jouer. À elles de le trouver et de le valoriser pour en faire commerce.

- Doit-on limiter la diffusion des œuvres culturelles et autoriser la surveillance de toutes les communications Internet pour conserver des privilèges d'ordre financier ?

- Comment une société peut-elle mettre autant de moyens pour limiter la diffusion d'œuvres culturelles ? Le peuple veut, le peuple aura. D'une façon ou d'une autre, tôt ou tard.

- LI-BÉ-REZ l'information, LI-BÉ-REZ le savoir, LI-BÉ-REZ la connaissance.
Une information libre n'est pas une information sans droits d'auteur.


Trois liens récents pour illustrer les abus des "administrateurs" de l'économie de la culture au détriment des artistes... et des citoyens :
Comment la Sacem se goinfre...
et
Les Majors du disque auraient surévalué les dégâts du téléchargement
et
Un rapport dénonce les coûts tordus des sociétés d’ayants droit



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