Églantine entre dans le bureau de Monsieur Lessig. Il commence :
- Vous avez bientôt fini votre mission chez nous. Qu'est-ce que vous allez faire ensuite ?
- Je viens de tomber sur une annonce pour faire un stage de six mois dans une entreprise...
   Monsieur Lessig l'interrompt :
- Laissez moi deviner. Ce stage n'est pas rémunéré...
- Exact. Comment avez-vous deviné ?
- Un stage de six mois en entreprise, ça n'existe pas. Ce n'est pas un stage votre annonce, c'est un emploi non rémunéré déguisé en stage.
- Ah...
- Un stage, c'est une situation bien précise d'une personne dans une entreprise, situation où l'entreprise ET la personne trouvent leur compte.
- Vous voulez dire qu'un stage doit être rémunéré ?
- Pas du tout.
   Églantine est surprise. Elle répond :
- Je ne comprends pas.
- Il y a d'autres façons pour une personne de trouver son compte dans une entreprise que d'y gagner de l'argent.
- Mais encore ?
- Si vous n'avez qu'un savoir théorique, il est très judicieux de le confronter à la réalité pratique. Ça ne dure pas plus de quelques semaines.
- Vous voulez dire qu'un stage ne peut pas durer plus de quelques semaines.
- Pour un stage en continu, oui. Maintenant, il y a de plus en plus d'études en alternance. Un peu à l'école, un peu en entreprise, un peu à l'école, etc... Dans ce cas, le stage va durer toute l'année scolaire. Au fur et à mesure de l'apprentissage, il va y avoir mise en pratique dans l'entreprise.
- ...
- Ça, c'est la théorie, la situation parfaite. En général, l'entreprise utilise ces stagiaires car ce sont de jeunes chiens fous corvéables. Ils ont toujours l'occasion de mettre en pratique une partie de leur savoir, mais jamais tout.
- ...
- Et surtout, ce genre de stage est bien encadré par l'école pour éviter les abus. C'est pour ça que ces stages sont toujours plus ou moins rémunérés.
   Églantine sourit et répond :
- OK, je note. Un stage, c'est court ou c'est en alternance.
- Oui. C'est juste un complément de formation, pas une première expérience professionnelle à proprement parler.
- Surtout si ça n'est pas payé.
- Donc, pour en revenir à votre annonce, six mois, ce n'est pas un complément de formation, c'est une expérience professionnelle.
- Mais comment se fait-il qu'il y ait autant de personnes pour répondre à ces annonces ?
   Monsieur Lessig marque une pause puis il dit :
- Certaines personnes pensent que c'est une entrée dans l'entreprise.
- Ce n'est pas le cas ?
- Quelqu'un qui propose ce genre d'annonce est un profiteur. Il n'y a pas de raison qu'il devienne un mécène du jour au lendemain. Sauf cas exceptionnel de croissance de l'entreprise, il n'y a jamais d'embauche à la fin de ces stages.
- ...
- Mais il peut y avoir un autre stage non rémunéré. Ça, ça arrive régulièrement. Si le stagiaire n'a pas compris la première fois, pourquoi ne pas essayer une seconde.
- Je crois que je vais oublier cette annonce.
- Et puis, il n'y a pas que ça comme point négatif.
- Ah bon ?
- Si vous mettez sur votre CV que vous avez fait un stage de six mois, je vais vous demander combien vous avez été rémunérée.
- Et ?
- Et quand vous allez me dire qu'il n'était pas ou peu rémunéré, vous pensez que ça va vous mettre dans quelle position pour négocier votre salaire. Vous n'aurez sûrement pas un salaire dans la partie haute de la fourchette.
- Ça peut aider aussi.
   Monsieur Lessig est surpris. Il demande :
- Comment ça ?
- Si un patron peut économiser un peu d'argent, il ne va pas se priver. Non ?
- Quand un patron a établi une fourchette de salaire pour une embauche, il prend le meilleur profil dans cette fourchette, pas le moins cher.
- Ah...
- Et ça, c'est du côté patron. Mais du côté salarié, il faut aussi penser à son statut dans l'entreprise. Par exemple, si vous devez demander conseil à un ingénieur payé 20.000 euros par an ou à un ingénieur payé 60.000 euros par an, lequel allez-vous choisir ?
- Ben...
- Le choix est vite fait car la différence est énorme. Mais même avec des différences moindres, le bas et le haut d'une fourchette de salaire, la différence de statut peut être flagrante.
- Ah...
   Monsieur Lessig marque une pause. Puis il dit :
- Pour en revenir aux stages, il faut aussi savoir remplir son CV. C'est important d'avoir un CV dense et de ne pas avoir de trous dedans mais il ne faut pas le remplir n'importe comment.
- Comment ça ?
- Il est préférable d'avoir quatre lignes d'expérience parfaitement maitrisées que dix lignes avec des faiblesses.
- ...
- Imaginez que vous êtes un film et que votre CV en est la bande annonce. Si j'ai compris tout le film en regardant la bande annonce, je vais être déçu. Si la bande annonce me donne très envie de voir le film, et que le film est à la hauteur, c'est tout bon.
- Le problème du premier emploi, c'est qu'il n'y a pas de film à présenter.
- Pas forcément.
- C'est-à-dire ?
- Il y a des premiers emplois qui sont... des premiers emplois. Peu payés, peu gratifiants mais qui garantissent une première expérience.
- ...
- C'est comme un stage de six mois. Mais c'est rémunéré.
   Églantine sourit. Elle fait remarquer :
- Il y en a vraiment peu de ces emplois.
- Si, il y en a mais il faut les chercher où ils sont. Un ingénieur aura beaucoup plus intérêt à faire de la hotline technique payée au SMIC que de faire un stage non rémunéré.
- Ah...
   Monsieur Lessig sourit à Églantine puis il lui demande :
- Ce n'est pas vous qui m'avez parlé de projets dans tous les sens sur les logiciels libres ?
- Si.
- Vous ne pensez pas que ça peut faire une très bonne expérience à présenter sur un CV.
- Je n'y avais jamais pensé comme ça...
- Aujourd'hui, on vit à une époque de communication et d'information. Il est tellement plus facile et efficace de montrer ses capacités en participant à un projet collectif. Cela démontre un sens de l'initiative et un esprit d'équipe.
- ...
- Cela permet aussi de se faire des relations qui peuvent ouvrir des portes ou présenter d'autres personnes.
- Participer à un projet libre plutôt qu'à un stage non rémunéré, j'aime bien le principe.
- Il est très important de maitriser son expérience, c'est-à-dire de réussir à en parler, à l'expliquer, etc... sur le plan technique ET sur le plan humain. L'expérience n'est pas qu'une collection de connaissances techniques. Savoir travailler en équipe, le montrer par l'exemple dans différentes configurations est un plus. Ce n'est pas trivial de travailler en groupe, de suivre un mouvement collectif. Mais c'est la base de l'entreprise.
   Églantine fait remarquer :
- Je connais certaines personnes qui vont pouvoir vraiment étoffer leur CV.
- Attention à ne pas passer pour un expert pour un emploi de technicien. Il faut un CV qui corresponde au poste à pourvoir. Et aucun patron n'a envie d'embaucher une personne qui pense révolutionner le monde avec ses gros sabots. Même si la personne en a la capacité.
- ...
- C'est important de rester occupé et d'accumuler de l'expérience. Encore faut-il que ce soit efficace.
- Efficace ?
- Le meilleur moyen de savoir si on progresse efficacement est de parler de ce qu'on a fait. Si on n'est pas capable d'expliquer clairement, à n'importe qui, ce qu'on vient d'apprendre, on n'a pas vraiment progressé.
- ...
- Que cette expérience soit acquise en stage dans une entreprise, ou au cours de projets personnels.
- OK, j'ai bien compris. Je n'ai plus qu'à trouver un emploi dans une hotline ou une place dans un projet libre.
- Et quand vous aurez trouvé, ne jamais oublier de progresser en apprenant et comprenant de nouvelles choses techniques... ou fonctionnelles.

Ce qu'il faut retenir :
- Un stage de six mois n'est pas un stage, c'est un emploi déguisé.

- Le monde du logiciel libre a beaucoup mieux à offrir en terme d'apprentissage et d'expérience qu'un stage de six mois non rémunéré. Enfin, il devrait.

- Le monde associatif (lié aux logiciels libres ou pas) a beaucoup à donner en terme de lignes d'expérience sur un CV.
Quitte à ne pas être payé...

- Une partie essentielle d'un stage est sa convention :